Is 66,18-21 ; Ps
116 ; Hb 12,57.11-13 ; Lc 12,22-30
Chers frères et sœurs,
Jésus est interrogé sur le nombre des sauvés, mais
il répond en donnant un enseignement sur le jugement dernier. Il a botté en touche : Jésus ne répond
pas à la question et ne dit pas s’il y en a un petit nombre ou un grand nombre.
Il refuse de faire un décompte, chose qu’en général le Bon Dieu n’aime pas, à
cause de sa générosité et de sa miséricorde. La question du nombre des sauvés reste
donc une question ouverte. En revanche Jésus invite ses interlocuteurs à la
conversion. Car le monde va être bouleversé et les premiers d’aujourd’hui,
demain seront les derniers. Et alors il sera trop tard pour inverser les
choses.
Il y a deux manières de comprendre ce que dit
Jésus. Soit, on le prend au premier degré, à savoir que le moment où le Maître
de maison se lève pour fermer la porte correspond à la résurrection de Jésus ;
Soit à un degré plus spirituel où ce moment correspond à la fin des temps. Dans
l’un et l’autre cas, l’invitation à la conversion ne s’adresse pas exactement
aux mêmes personnes.
Dans le premier cas, on peut comprendre que
Jésus invite les Juifs à se convertir avant qu’il ne meure et ne ressuscite,
car après sa résurrection, l’Esprit Saint répandu dans le monde va susciter
l’Église, au sein de laquelle seront rassemblés des baptisés de toutes les
nations. Ce sera la réalisation de la prophétie d’Isaïe. Ceux-là prendront la
première place, et les Juifs qui ne seront pas devenus chrétiens la dernière.
Et ce n’est pas le rappel du fait que le Seigneur les a connus les premiers qui
leur conservera un droit d’aînesse. Plus encore, le Seigneur rejettera ceux qui
commettent l’injustice. On peut penser à la condamnation injuste de Jésus au
supplice de la croix.
Mais dans le second cas, si on place la
fermeture de la porte à la fin des temps, alors les chrétiens aussi doivent
être comptés comme les Juifs. Ce n’est pas seulement le fait d’avoir été au
caté et à la messe qui nous sauvera, mais aussi le fait de nous comporter comme
des justes durant notre vie. Car, le jugement de Dieu ne nous appartient pas
et, dans sa grande miséricorde, il peut ouvrir le ciel à tous les hommes qui
auront vécu avec une conscience droite. Et eux seront les premiers, et nous,
qui nous croyons déjà arrivés, les derniers.
Alors comment faire pour savoir quelle lecture
sera la bonne ? Je pense que les deux lectures sont bonnes, mais il faut
les lire comme des prophéties.
Oui, la mort et la résurrection de Jésus fonctionnent
comme une porte dans l’histoire de l’humanité : il y a un avant et il y a
un après. Avant, il y avait le peuple de Dieu, qui se réduisait à Israël, et
après, grâce à l’Esprit Saint, il y a l’Église dont les membres proviennent d’Israël
et aussi de toutes les nations. Comme l’a dit Isaïe, le Seigneur mettra en
elles un signe – celui du baptême ; elles seront évangélisées jusqu’aux
îles lointaines ; les baptisés deviendront une offrande au Seigneur, qui
prendra même des prêtres et des lévites parmi eux. Et de fait, s’il y a des
évêques et des prêtres dans l’Église, tous les baptisés ont été faits prêtres,
prophètes et rois.
Et justement, si les baptisés sont prêtres, ils
sont aussi prophètes. L’Église d’aujourd’hui, composée d’hommes de toutes les nations,
annonce prophétiquement le grand rassemblement final de tous les hommes justes,
à la fin des temps. Mais inversement, comme il sera beaucoup demandé à ceux à
qui il a été beaucoup donné, ce qui est arrivé aux membres du peuple d’Israël
qui ne se sont pas convertis avant la résurrection de Jésus, peut aussi nous
arriver si nous ne vivons pas conformément à notre baptême, avant que la fin du
monde arrive. Ce n’est pas tant que le ciel nous sera totalement fermé, mais
plutôt que nous serons relégués en seconde division. On a une idée ici du
purgatoire comme salle d’attente avant d’être reçu, ou comme oral de
rattrapage, au bac.
Il reste quand même une question : sur
quoi serons-nous donc jugés ? Jésus dit : « Éloignez-vous de
moi, vous tous qui commettez l’injustice ! ». Mais quelle est
cette injustice ? Dans un commentaire juif traditionnel du psaume 10, on raconte
l’histoire d’un voyageur arrivé trop tard aux portes de la ville. Celles-ci
sont fermées pour la nuit, pour des raisons de sécurité. D’après le
commentaire, la raison du retard du voyageur provenait soit de sa négligence,
soit de son orgueil : soit il n’a pas fait attention à l’heure, en
s’amusant en route, soit il a cru qu’étant donné son importance on lui
ouvrirait, ou bien que – présumant de ses forces – il arriverait avant l’heure.
Mais cette explication, qui est proche de celle de Jésus, ne se comprend vraiment
que dans un sens spirituel : il s’agit de négligence ou d’orgueil
vis-à-vis de Dieu, qui sont des empêchements pour accéder à son Royaume. « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton
esprit, et ton prochain comme toi-même » : voilà au contraire ce
qui fait l’homme juste, vertueux et humble, qui a sa place dans la maison de
Dieu dès aujourd’hui, dans l’Église, mais aussi demain, dans la Jérusalem du
ciel.