1R 19,16b.19-21 ;
Ps 15 ; Ga 5,1.13-18 ; Lc 9,51-62
Chers frères et sœurs,
Qu’il est difficile de comprendre le Seigneur
Jésus et sa mission dans le monde. Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus, après
s’être manifesté dans la lumière de la Transfiguration, entreprend sa montée
vers Jérusalem. Il sait très bien qu’il est Dieu, lumière née de la lumière,
envoyé par son Père dans le monde, pour réaliser la rédemption de l’humanité,
et que cette rédemption va passer par sa Passion et sa mort, avant de
ressusciter au troisième jour. Notre rédemption, c’est notre réconciliation
avec Dieu, le pardon de nos péchés, la libération de nos ténèbres et de tout ce
qui nous tire vers le bas ; c’est le retour au Paradis, l’accès au vrai
bonheur et à la communion des saints, dans l’amour ; ce pour quoi nous
avons été créés au commencement. Jésus est conscient de l’enjeu vital pour nous
de cette mission, c’est pourquoi saint Luc dit qu’il a « le visage
déterminé ».
En regard, les Samaritains s’opposent à son
passage parce qu’il va à Jérusalem et qu’ils sont en conflit avec les Juifs à
propos du Temple. Leur temple, sur le Mont Garizim, a été édifié en réaction
politique et religieuse, et en concurrence commerciale. Le refus d’accueillir
Jésus est un peu mesquin mais c’est ainsi : c’est typiquement humain. Dieu
est plus libéral et plus patient, lui qui fait tomber la pluie sur les justes
et les injustes, en attendant l’heure du jugement.
La réaction de Jacques et Jean – à savoir faire
tomber le feu du ciel sur les Samaritains – n’est pas plus élevée. C’est là que
ces deux disciples ont reçu le surnom de « Boanergès », « fils
du tonnerre », ou « fils de Zeus ». Jésus les réprimande car
il n’est pas venu condamner le monde mais au contraire le sauver. Et il leur
reproche d’adorer davantage l’idole de la colère plutôt que lui-même qui est le
Dieu qui donne sa vie pour sauver toute l’humanité et lui rendre la paix.
Justement, les trois rencontres suivantes
illustrent la différence qu’il y a entre les vrais disciples de Jésus et les
adorateurs d’idoles.
La première rencontre met en scène un homme qui,
de lui-même, veut suivre Jésus. Jésus lui répond deux choses : d’abord que
le serviteur de Dieu n’a pas de lieu de repos, si ce n’est au ciel. Or cet
homme ne veut-il pas suivre Jésus parce qu’il pense qu’il va lui apporter du bien-être
sur la terre ? Jésus n’est pas là pour apporter du bien-être sur la terre
mais au ciel. Quand il donne du bien-être sur la terre, c’est pour indiquer le
chemin du ciel. Jésus veut lui dire ensuite que celui qui n’est pas d’abord
appelé par lui, n’aura pas de lui-même la force pour pouvoir suivre son chemin,
un chemin qui passe par la croix. Le chemin du serviteur de Dieu est un chemin
de foi, et il suffit d’ouvrir sa Bible pour se rendre compte que c’est un
chemin difficile, même s’il rend parfaitement heureux.
La seconde rencontre illustre une situation
exactement inverse. Cette fois-ci, c’est Jésus qui appelle un homme à le
suivre. Mais celui-ci demande un délai. Il mesure l’exigence que représente la
suite de Jésus et il cale. Il prend prétexte du soin de ses parents, argument
honorable s’il en est, mais insuffisant pour qui veut être serviteur de Dieu.
Servir Dieu, c’est lui donner tout jusqu’à sa vie même, comme Jésus a donné sa
vie pour nous. Pour pouvoir suivre Jésus, il faut donc être d’abord appelé par
lui et avoir en soi la force de l’Esprit Saint qui donne la liberté de répondre
oui et d’être fidèle.
La troisième rencontre enfin suppose que Jésus
a encore appelé un autre homme à devenir son disciple. Celui-ci est prêt à le suivre
mais il veut juste organiser des adieux, comme Élisée l’avait fait lors de son
appel par Elie. La réponse de Jésus est encore plus radicale : il demande
un oui total et à effet immédiat. Pour comprendre cette exigence, il faut se
souvenir que Jésus est en train de monter à Jérusalem « le visage
déterminé » pour y vivre sa Passion. S’il commence à regarder dans le
rétroviseur, à s’accorder une pause, ou du recul (comme on dit aujourd’hui), alors
le risque de découragement, la tentation de s’arrêter, et de renoncer, ne sont
pas loin.
Au contraire, il faut se souvenir ici que
Jésus, comme tout chrétien, est fils de Dieu et que là où il est, au moment où
il est, il reçoit de son Père tout son amour, amour que le Père espère recevoir
en retour, par la foi, l’espérance et la charité. Et c’est le Père qui
tient le volant de la voiture, qui dirige nos histoires. Il y a bien des fois
où dans notre vie, nous sommes prêts à abandonner, à renoncer, à nous laisser
aller. Mais c’est justement à ces moments-là, où nous sommes tentés, que Dieu a
très précisément besoin de notre témoignage, du sursaut de notre prière, de
notre foi et de notre espérance. Alors, avec la petite offrande de vie que nous
lui présentons avec confiance, il peut ouvrir un chemin nouveau : celui
qui conduit au ciel, pour nous-mêmes et pour tous ceux qui nous aiment.
C’est pourquoi, au moment même où dans notre
pays les gens abandonnent Dieu en masse, c’est une grâce quand trois jeunes
hommes répondent librement à son appel pour devenir prêtres. Par eux, Dieu va
ouvrir un chemin de vie pour nous tous. Un chemin qui conduit au ciel.