Gn 14,18-20 ; Ps
109 ; 1Co 11,23-26 ; Lc 9,11b-17
Chers frères et sœurs,
Dans l’extrait de l’évangile de Luc que nous
avons entendu, il y a quatre histoires qui se mélangent.
La première commence au début du
chapitre : Jésus envoie ses disciples deux par deux annoncer le Royaume de
Dieu, guérir les maladies et rétablir les infirmes. C’est à leur retour qu’il
les invite à aller dans un lieu désert près de Bethsaïde, comme pour se
ressourcer. Bethsaïde – qui veut dire village de la pêche – est le lieu
d’origine de Pierre, André et Philippe, et certainement aussi de Jacques et Jean,
les fils de Zébédée. Ils connaissent donc bien le coin.
Mais, comme des pêcheurs, qui ont été en mer
jeter leur filet ramènent quantité de poissons au rivage, les apôtres envoyés
par Jésus prêcher le Royaume de Dieu, lui ramènent une foule de gens qui ont
besoin d’entendre sa parole et d’être guéris par lui. Et c’est là que nous les
retrouvons. Comme il se fait tard, ils ont besoin d’être nourris et Jésus leur
donne, en les faisant reposer dans l’herbe comme des brebis, le gage du
Royaume, c’est-à-dire du pain en abondance.
Voici maintenant la deuxième histoire. Juste
avant le passage que nous avons entendu, il est question de Jean-Baptiste.
Hérode s’interroge devant les miracles faits par Jésus et se demande s’il n’est
pas Jean-Baptiste ressuscité, qu’il vient pourtant de faire décapiter. Dans
l’évangile de Mathieu, la multiplication des pains a lieu justement après la
mort de Jean-Baptiste. Et chez Marc, on a un mixte des deux.
Il se trouve donc que les Apôtres reviennent de
mission vraisemblablement parce que Jean-Baptiste est mort et ils se réunissent
avec Jésus. Et non pas les Apôtres seulement, mais une foule immense, comme
pour un enterrement. Car – et c’est un détail étonnant – ils se réunissent dans
un lieu désert, mais pas n’importe lequel. Souvenez-vous : Jean-Baptiste
prêchait dans le désert – mais non pas exactement dans un désert, plutôt dans
des ruines. Jésus, ses disciples et la foule, se sont sans doute réunis dans
les ruines d’où Jean-Baptiste était parti. Et c’est au milieu de cette
désolation, du souvenir douloureux de la mort de Jean-Baptiste, que Jésus fait
surgir la vie en multipliant les pains.
Ici je peux vous parler de la troisième
histoire. Car saint Luc a fait exprès d’employer une expression spéciale :
« Le jour commençait à baisser », exactement comme il l’a fait
avec les disciples d’Emmaüs : « Reste avec nous, car le soir approche
et déjà le jour baisse ». Ils vont alors ensemble partager le pain. Il
y a donc un lien entre la multiplication des pains et les disciples d’Emmaüs.
Ici c’est Jésus qui fait un miracle en multipliant les pains, là c’est la
fraction du pain qui dévoile la résurrection miraculeuse de Jésus. Et le
miracle, dans les deux cas, renvoie à la même puissance de vie : il y a une
création nouvelle. Du Royaume des cieux, un rayon, par son éclat, vient
illuminer la terre.
La quatrième histoire, celle de l’eucharistie,
est aussi un peu la nôtre. Dans la traduction que nous avons, Jésus dit :
« Faites-les assoir par groupes de cinquante environ ». Mais saint
Luc a écrit en grec : « Faites les étendre ». Car, en
effet, dans l’antiquité, on n’est pas assis à table : on est allongé
autour d’une table, avec un espace ouvert devant pour pouvoir être servis.
C’est ce qui fait que lors de la Cène, Jésus peut laver les pieds de ses
disciples sans avoir à passer à quatre pattes sous la table. Car ils sont étendus.
De même, quand Jésus, qui est à la place d’honneur, consacre et offre le pain
et le vin qui deviennent son Corps et son Sang, il n’a personne en face de lui,
si ce n’est son Père. Et c’est pourquoi depuis toujours dans l’Église, en Orient
comme en Occident, si nous étions vraiment fidèles au concile Vatican II, les
prêtres qui célèbrent l’Eucharistie sont tournés dans la même direction que les
fidèles, vers le Père.
Ainsi donc, quand saint Luc raconte la
multiplication des pains, en précisant que les hommes sont allongés, il fait
clairement référence au dernier repas de Jésus avec ses disciples. Et Jésus,
qui n’aime pas le désordre, fait regrouper les gens par groupes de cinquante
et, il leur fait distribuer par ses Apôtres le pain qu’il bénit lui-même et
multiplie lui-même. Comme aujourd’hui l’Église est organisée autour d’un évêque
qui reçoit de Jésus, par l’Esprit Saint, son Corps et son Sang pour le
distribuer aux fidèles.
Chers frères et sœurs, vous voyez que dans cet
évangile, le pain est abondant : le filet des apôtres qui ramène une foule
immense à Jésus qui les nourrit ; la mémoire du martyre de Jean-Baptiste,
où, au milieu des ruines et de la mort, est donnée par Jésus une vie nouvelle,
qui est déjà celle-là même de sa résurrection. Et c’est à cette vie-là qu’aujourd’hui,
selon la volonté de Jésus qui nous a demandé de refaire ses gestes et de redire
ses paroles, nous recevons dans la sainte communion.