2R
4,8-11.14-16a ; Ps 88 : Rm 6,3-4.8-11 ; Mt 10,37-42
Chers
frères et Sœurs,
Lorsque je prépare une homélie, je commence
par lire le texte que la liturgie nous donne. Ensuite, je cherche les
commentaires les plus proches du texte d’origine. J’ai trois types de
commentaires. Le premier est celui de Sœur Jeanne d’Arc, une dominicaine qui
connaissait parfaitement le grec et qui a traduit les évangiles pratiquement
mot à mot. Ses remarques sont toujours très judicieuses. Le second type de
commentaire est celui qui nous vient des Eglises orientales, notamment à partir
de la version des évangiles en araméen. Nous avons en français, par exemple, le
commentaire de Monseigneur Alichoran, qui connaissait parfaitement l’araméen,
sa langue maternelle. Et enfin, il y a les œuvres des Pères de l’Eglise, parmi
lesquelles se trouvent les commentaires d’Origène, un prêtre d’Alexandrie du
IIIème siècle. Il est une source vive qui n’a jamais cessé d’irriguer l’Eglise.
Aujourd’hui nous avons un évangile qui nous
paraît difficile, où Jésus semble très exigeant. Mais il n’en est rien, il faut
juste comprendre que Jésus nous ouvre le rayonnement de son cœur et il nous
appartient, avec la grâce de Dieu, de répondre autant que possible à l’appel de
son amour.
La première chose à observer est que Jésus
distingue quatre cercles : le premier concerne l’amour de Dieu, le second
la saisie de la croix, le troisième l’accueil d’un prophète, et le quatrième le
don d’un verre d’eau. On voit déjà que l’on va du plus difficile à réaliser au
plus facile.
Le premier cercle commence avec une phrase
que la liturgie a malheureusement coupé : « On aura pour ennemis les gens de sa propre maison ». Jésus
explique : « Celui qui aime son
père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son
fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ». Ici Jésus
rappelle le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et
de tout ton esprit ». Rien ni personne ne doivent être préférés à
l’amour de Dieu. Dès que quelqu’un perd cet horizon, il met du désordre dans la
maison. Le premier à avoir trahi Dieu, c’est Lucifer, et le mal est entré dans
la Création ; le second c’est Judas, et Jésus fut conduit à sa
Passion ; l’Eglise naissante fut persécutée et dispersée. Les vrais ennemis de Dieu sont
parmi ceux qui sont les plus proches de
lui, mais qui au fond ne l’aiment pas. Au contraire, celui aime Dieu d’abord,
aime aussi véritablement les siens dans
l’amour de Dieu. C’est le second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Le second cercle concerne la croix de
Jésus : « Celui qui ne
prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi ; qui a trouvé
sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera ».
Nous sommes ici à un degré inférieur par rapport au précédent : s’il nous
est pas encore donné d’aimer Dieu d’un amour total, au moins pouvons-nous
essayer de le suivre, c’est-à-dire de le préférer à nous-même, de chercher à
l’imiter dans les joies et dans les peines. Etre avec Jésus à toute heure et
lui accorder notre confiance pour aujourd’hui et pour demain, avec la promesse
de vivre avec lui. Au contraire, celui qui croit sauver sa peau en renonçant à
suivre Jésus dans les difficultés, en réalité le trahit et perd sa bénédiction.
Le troisième cercle concerne l’accueil de
Jésus : « Qui vous accueille
m’accueille ; et qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé. Qui
accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de
prophète ; qui accueille un homme juste en sa qualité de juste recevra une
récompense de juste ». Accueillir Jésus signifie l’accueillir lui,
personnellement, mais aussi son enseignement et encore la mission que lui a
donné son Père. De même accueillir un prophète n’est pas seulement l’accueillir
lui, mais aussi le message qu’il porte au nom du Seigneur et aussi le Seigneur
lui-même qui l’a envoyé. C’est pourquoi par exemple ayant accueilli Elisée, le
prophète du Seigneur, la femme Sunamite est-elle est comblée de grâce. Jésus
nous enseigne ici qu’à défaut d’être en communion d’amour avec Dieu, ou d’être
capable de le suivre à toute heure, tout du moins peut-on être généreusement béni
en accueillant chez soi – en son cœur – la Parole de Dieu portée par lui-même
ou son prophète. Accueillir l’Evangile, c’est déjà accueillir Jésus et son
Père. Et Jésus promet l’Esprit à celui qui accueille sa Parole.
Le dernier cercle est celui du verre
d’eau : « Celui qui donnera à
boire, même un simple verre d’eau fraîche à l’un de ces petits en sa qualité de
disciple, amen je vous le dis : non il ne perdra pas sa récompense ».A
défaut de pratiquer l’amour de Dieu, la suite de Jésus ou même l’accueil de sa
Parole, peut-être peut-on au moins faire un geste d’humanité envers les apôtres
et disciples du Seigneur. Alors rien que ce geste, Jésus le reconnaît et le
bénit.
Ainsi, en recevant simplement un serviteur de
Dieu, reçoit-on des grâces ; en accueillant à travers lui la Parole de
Dieu, on reçoit l’Esprit de Dieu ; en se mettant à suivre la Parole de
Dieu, on se met à vivre véritablement et à rayonner ; et en se donnant
totalement à Dieu, on entre aussi totalement dans son amour. Arrivés là, au
cœur de Dieu, il n’y a plus de mots pour en dire davantage.