dimanche 27 juillet 2025

27 juillet 2025 - GRANDECOURT - 17ème dimanche TO - Année C

Gn 18, 20-32 ; Ps 137 ; Col 2, 12-14 ; Lc 11, 1-13
 
Chers frères et sœurs,
 
En voyant Jésus prier dans « un certain lieu », c’est-à-dire dans le Temple, un de ses disciples fut pris du désir de l’imiter et lui demande de lui apprendre à prier. Comme pour s’excuser d’avoir eu ce désir et d’avoir exprimé cette demande, il se cache derrière le fait que Jean-Baptiste a déjà donné un tel enseignement à ses propres disciples. On s’aperçoit ici que l’homme ne sait pas prier comme il faut : il a besoin qu’on lui apprenne ; cependant, il est capable de sentir intérieurement ce qu’est une vraie prière et même désirer la pratiquer. Au fond de lui-même, la prière existe déjà, mais elle est comme une rivière souterraine : elle lui demeure cachée, tant qu’il n’arrive pas à l’extérioriser.
Étonnamment, l’homme ressent un sentiment de honte à exprimer ce désir profond de prier : il n’ose pas demander, il n’ose pas parler, il n’ose pas faire. Sans doute parce que la prière est très intime : elle vient du cœur ; elle touche à l’essentiel de nos vies. C’est pourquoi Jésus désarme les préventions de ses disciples, et il leur dit : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » Il ne doit pas y avoir de honte à désirer prier, à vouloir prier, à prier tout court, en paroles et en gestes. Jésus énumère trois verbes : « demandez », « cherchez » et « frappez » : la prière se fait en paroles, par le désir intime, et par des actes. Et à chaque fois, c’est pour nous autant d’obstacles intérieurs à surmonter ; ou comme des accouchements à accomplir – mais en vue d’une libération et d’une joie. Il y a de la joie à prier.
 
Lorsque Jésus donne sa leçon de prière, il enseigne le « Notre-Père ». Rien que dans ces deux premiers mots, il y a deux vérités sur la prière. La première est que l’on ne dit pas « Mon Père, qui est aux cieux… etc. » La prière est dite au nom de tous : toute la communauté des disciples et plus largement toute l’humanité. « Donne-nous… » La prière est dite au nom de tous et pour tous. On ne dit pas « Mon Père,… donne-moi… » Abraham priait déjà ainsi, puis qu’il priait le Seigneur non pas pour lui-même mais pour tous les justes de la ville de Sodome, et en fait pour l’ensemble des habitants de Sodome : « Pour dix, je ne détruirai pas. » dit le Seigneur, à la fin de sa prière.
La posture du priant est donc celle d’un prêtre qui prie pour un peuple, un peuple auquel il appartient. Il prie le Père commun à tous. En fait, c’est comme si il revêtait les vêtements du seul et véritable prêtre qui prie le Père pour tous les hommes, c’est-à-dire Jésus lui-même. Quand un homme prie, il prie dans le Christ, pour tous les hommes, et pour lui-même en communion avec tous les hommes. Ce n’est pas pour rien que nous avons été baptisés puis oints du Saint-Chrême qui a fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois à l’image de Jésus. Quand nous prions, nous exerçons notre vocation sacerdotale de baptisés.
Jésus ne prie pas « en l’air », une sorte de « Dieu général » : non, il prie « son Père ». La prière s’adresse toujours au Père. On peut bien prier Jésus ou Marie, ou sainte Marie-Madeleine, mais en définitive, la prière aboutit toujours à la seule personne qui peut l’exaucer : le Père de Jésus, qui est aussi Notre Père. Les prières des saints sont des prières d’intercession, des relais en quelque sorte, auprès du Père. Nous pensons qu’avec leur aide, notre demande sera plus sûrement exaucée. De même Abraham ne prie pas « en l’air » ; il ne s’adresse pas à des arbres ou à des cailloux : il s’adresse au Seigneur qui le visite au chêne de Mambré. La prière va d’une personne à une autre : la prière est toujours personnelle. On ne prie jamais dans le vide : on s’adresse toujours à quelqu’un, quelqu’un de vivant. Ce pourquoi nous sommes certains que la prière est toujours entendue. Cependant, la réponse ne nous appartient pas : elle vient comme le Seigneur veut, et quand il veut, pour notre bien.
 
Avez-vous remarqué, chers frères et sœurs, que je n’ai pas encore parlé du Saint-Esprit ? Et pourtant, il est toujours là. C’est lui qui est la rivière souterraine qui coule dans nos cœurs et aspire à s’exprimer dans une prière en paroles, en désirs et en actes. C’est lui aussi qui est la réponse du Père : la joie de la prière exaucée. Et Jésus de dire à ses disciples : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » Il dit ici qu’il n’y a rien de plus grand à demander dans la prière que l’Esprit Saint. Qui reçoit l’Esprit reçoit tout : le pardon, la justice, la paix, la joie, la vie, la communion... N’est-ce pas ce que dit le Notre-Père ? Que l’Esprit Saint sanctifie tous les hommes pour que le Nom de Dieu soit glorifié par eux, en eux ? Que le Règne de Dieu vienne, c’est-à-dire que l’univers entier soit ordonné et gouverné par la puissance de l’Esprit Saint ? Et le vrai pain dont nous avons besoin, n’est-il pas l’Esprit Saint vivificateur lui-même ? Et le pardon des péchés, n’est-il pas accordé dans la miséricorde de Dieu ? L’Esprit Saint n’est-il pas la vraie rosée de miséricorde et de paix ? « Ne nous laisse pas entrer en tentation » disons-nous : l’Esprit Saint est une force, une puissance invincible, car il est la vie elle-même, la vie divine, la vie éternelle.
 
Chers frères et sœurs, au fond de notre cœur, l’Esprit nous appelle à revêtir le Christ et, par lui, avec lui et en lui, à nous tourner vers notre Père afin que son même Esprit soit répandu dans le monde, et que le monde soit enfin totalement transfiguré dans la joie, la paix et la lumière.

dimanche 20 juillet 2025

19-20 juillet 2025 - VEREUX - VALAY - 16ème dimanche TO - Année C

 Gn 18, 1-10a ; Ps 14 ; Col 1, 24-28 ; Lc 10, 38-42
 
Chers frères et sœurs,
 
Comme d’habitude chez saint Luc, il y a au moins deux clés pour comprendre l’Évangile. D’abord, il s'agit de faire attention à ce qu’il se passe, aux lieux, aux gestes, autant qu’aux paroles. Dans ce sens, il faut observer que Jésus se rend dans la maison de Marthe. Mentionner une maison, dans l’Évangile, est une manière d’évoquer le Temple. Marthe est chez elle dans le Temple : elle figure le peuple d’Israël, le peuple fidèle qui sert Dieu – ici Jésus – dans son Temple, dans lequel Il vient demeurer. Retenons cela.
Ensuite – même si la traduction ne nous aide pas beaucoup – il faut remarquer que, la première, Marie vient près de Jésus ; elle s’assoit sans rien dire, et elle écoute Jésus parler. Elle écoute la Parole : elle écoute la Parole de Dieu. Ensuite Marthe vient à son tour près de Jésus ; elle reste debout et elle s’adresse à Jésus : elle lui coupe la parole ; elle empêche la Parole de Dieu de s’exprimer. Son attitude orgueilleuse ne lui permet pas d’écouter la Parole de Dieu.
On retrouve ici entre Marthe et Marie l’opposition que Jésus a déjà relevée entre le pharisien qui fait sa propre louange dans le Temple, et le publicain qui, écrasé par son péché, demande à Dieu son pardon. Jésus dit : « Quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » On se souviendra, que pour saint Jean, Marie de Béthanie est celle qui a répandu du parfum sur les pieds de Jésus et les a essuyés de ses cheveux, parce qu’elle était une grande pécheresse.
Aujourd’hui nous avons un conflit entre deux sœurs, dont Jésus est l’arbitre. Mais on l’a aussi déjà vu arbitrer entre deux frères : le fils prodigue et son frère aîné, qui se plaint à son père qu’on reçoive à grands frais son frère pécheur : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres ! » Et souvenez-vous de la réponse : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » Le père dirait donc aujourd’hui à Marthe : « Pourquoi t’inquiètes-tu ? Je sais bien que tu me sers, que tu me sers bien, du mieux que tu peux ; et je suis toujours dans ta maison, avec toi, et toi avec moi, parce que c’est aussi ma maison. »
 
On voit apparaître ici un décalage entre ce que dit Marthe et ce que lui répond Jésus. La première, qui est dite accaparée, se plaint que Marie ne l’aide pas dans son service. Et Jésus lui répond qu’elle se disperse, tandis que Marie a choisi la meilleure part. Ils ne parlent pas de la même chose, ou plutôt, pas au même niveau. Pour comprendre, il faut employer la seconde clé qu’utilise habituellement saint Luc : les mots-clés, semés comme des petits cailloux dans le texte.
Le premier est le verbe traduit ici par « accaparé » qui, en araméen, n’a qu’une seule occurrence parallèle dans toute la Bible, dans le livre de Qohélet (l’Ecclésiaste), pour dire la vanité, en raison de son impossibilité, d’une recherche en vue de la connaissance totale de l’univers : « J’ai pris à cœur de rechercher et d’explorer, grâce à la sagesse, tout ce qui se fait sous le ciel ; c’est là une rude besogne que Dieu donne aux fils d’Adam pour les tenir en haleine. J’ai vu tout ce qui se fait et se refait sous le soleil. Eh bien ! Tout cela n’est que vanité et poursuite de vent ! » La quête de Marthe et sa dispersion la perdent dans du sable. Et le second mot-clé est mal traduit : Marie n’a pas choisi la « meilleure part », mais la « bonne part », c’est-à-dire la « part de Dieu » : Dieu lui-même ; la part des lévites.
Nous comprenons donc que la question réelle de cette histoire est celle de la manière dont il faut se comporter avec Dieu dans le temple de son cœur : soit on veut se justifier soi-même en faisant un mauvais usage de sa raison, de la sagesse, pour constater avec colère qu’on se perd dans des recherches sans fin, suscitant jalousie vis-à-vis de ses frères et sœurs, et orgueil vis-à-vis de Dieu ; soit on se présente simplement à lui, tel qu’on est, petit ou grand pécheur, avec grande humilité, pour le prier d’accorder sa Parole, son pardon, un peu de vie nouvelle. Et c’est là le culte véritable, le service véritable, attendu par Dieu dans le cœur de l’homme.
 
En définitive et pour conclure, dans une situation humaine concrète, Jésus – et saint Luc – discernent le véritable enjeu spirituel qui concerne l’amour de Dieu et celui de nos frères, et sœurs en l’occurrence : il n’y a pas de petits et grands moments dans notre relation à Dieu. Même des événements de vie courante ont de la valeur à ses yeux. Pour Marthe, qui a reçu une leçon, Jésus n’oublie pas qu’il est reçu chez elle pour y trouver le meilleur service possible – le grand souci de Marthe – et cela ne lui est pas retiré, cela ne lui est pas reproché. Jésus crée simplement dans sa maison une place nouvelle et particulière pour Marie, et à travers elle pour toutes les nations : une place pour les pécheurs qui aiment Dieu et son aimés de lui. Ainsi dit-il à leur propos : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion », et : « Si vous aviez compris ce que signifie : “Je veux la miséricorde, non le sacrifice”, vous n’auriez pas condamné ceux qui n’ont pas commis de faute. »

dimanche 13 juillet 2025

12-13 JUILLET 2025 - CITEY - CHARENTENAY - 15ème dimanche TO - Année C

Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37
 
Chers frères et sœurs,
 
Dans l’évangile que nous venons d’entendre, nous avons l’impression que le docteur de la Loi fait passer deux examens à Jésus. Mais en réalité, c’est l’inverse : au premier examen, le docteur de la Loi obtient son bac, et au second il obtient sa licence. Et c’est Jésus qui examine.

Comprenons, en effet, que le système scolaire en Israël est composé de trois niveaux : au primaire, on apprend à lire et écrire l’hébreu, à connaître les bases de la Torah et de l’histoire d’Israël. Au secondaire,  le malpanâ, le maître, fait apprendre par cœur la Torah et les psaumes, avec quelques commentaires et explications. Notons ici que le docteur de la Loi appelle Jésus « maître » : il le prend donc au mieux pour un prof de lycée, c’est-à-dire pour lui un collègue, puisqu’un docteur de la Loi se situe à ce niveau. Son métier en effet est de connaître par cœur la Torah pour assister des rabbis quand ils enseignent. C’est pourquoi Jésus lui dit : « Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » ; il lui demande tout simplement de faire son métier. Et d’ailleurs, le docteur de la Loi lui répond parfaitement – ce que Jésus va souligner en lui donnant les félicitations : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » Ainsi, la première partie de l’évangile correspond à un examen de niveau bac.
Fort de cette réussite, le docteur de la Loi s’enhardit et interroge Jésus : « Et qui est mon prochain ? » On passe alors au troisième niveau du système scolaire : celui des rabbis. Il s’agit ici d’approfondir et d’éclairer les enseignements du maître, notamment par le moyen du midrash, c’est-à-dire par un raisonnement fondé sur des citations tirées de la Torah, des psaumes, et des prophètes. On est à la fac. Et justement, la parabole du Bon samaritain est exactement un midrash : le récit est tissé de références aux Écritures pour exposer un profond enseignement spirituel. Ici, Jésus ne répond plus en malpanâ, en prof de lycée ; il répond en rabbi, en prof de fac. Il faut donc que le docteur de la Loi fasse appel à toutes ses connaissances pour pouvoir le suivre ! Essayons nous aussi de comprendre.
 
L’homme descend de Jérusalem à Jéricho : il part de la ville sainte, la ville de Dieu, pour descendre à la ville la plus basse du monde, sous le niveau de la mer. C’est un homme qui, comme Adam, chute du Paradis à l’enfer : c’est tout homme pécheur.
C’est la raison pour laquelle il est attaqué par les bandits, les démons, qui le laissent mourant sur le chemin. Telle est la condition humaine. Il demeure en nous toujours notre dignité car nous avons été créés à l’image de Dieu, mais nous avons été défigurés, blessés, par le péché : nous avons perdu la ressemblance d’avec Dieu. Il y a en nous une part de vie et une part de mort, et comme l’homme abandonné sur le chemin, nous attendons un secours, ce qu’on appelle « le salut ».

Arrivent alors successivement un prêtre et un lévite. Mais ils évitent l’homme. Jésus n’a pas besoin d’expliquer au docteur de la Loi pourquoi ils se comportent ainsi : il le sait très bien, comme tous les autres auditeurs de Jésus. C’est que le prêtre et le lévite obéissent à un précepte de la Loi, donné dans le Lévitique : « Le Seigneur dit à Moïse : « Parle aux prêtres, fils d’Aaron. Tu leur diras : Aucun de vous ne se rendra impur pour un mort de sa parenté » » - sauf si c’est quelqu’un de sa très proche parenté. En effet, prêtres et lévites sont consacrés au culte de Dieu, et ils doivent absolument se garder purs pour éviter de pervertir ce culte. N’oublions pas ici que le culte de Dieu, ce sont concrètement les sacrifices au Temple de Jérusalem. Si jamais un prêtre ou un lévite contracte une impureté, c’est-à-dire est contaminé par une bactérie, alors les sacrifices c’est-à-dire les viandes qui sont consommées par ceux qui les offrent, et tous les objets du Temple, et le Temple lui-même, deviennent eux-aussi contaminés. On comprend naturellement l’intransigeance de la Loi en cette matière. Par extension, on comprend que, selon la Loi, ce n’est pas la vocation des prêtres et des lévites qui sont spécialement consacrés à Dieu, de se consacrer aux hommes.

En attendant, notre homme blessé est toujours sur le chemin. Passe alors le Samaritain. En hébreu, la racine du mot « samaritain » signifie « gardien », comme un « ange gardien ». Mais en fait, et toutes les Écritures le disent : le « gardien d’Israël », le protecteur d’Israël, c’est Dieu lui-même. Le docteur de la Loi le sait. Et d’ailleurs le samaritain est « saisi de compassion ». Dans les Écritures, seul Dieu – ou Jésus – sont « saisis de compassion ». En deux mots, Jésus dit que c’est Dieu lui-même qui arrive sur le chemin, auprès de l’homme perdu.
Dieu n’a pas à observer les lois de pureté : il est lui-même pureté infinie. Il s’approche et panse les blessures de l’homme, y verse de l’huile et du vin. Il le lave, le cautérise avec le vin, il l’habille, il l’oint avec de l’huile : il le baptise pour le guérir de son mal et le rendre à la vie. Puis, il le charge sur son âne et le conduit à l’auberge où il prend « soin de lui » – c’est-à-dire qu’il le nourrit. Glorifié comme un roi assis sur son âne, en procession le baptisé est conduit au Temple, à l’Église, pour y recevoir l’Eucharistie, la communion. Cela est évident pour un chrétien, mais pour le docteur de la Loi, c’est une révélation, qu’il peut aussi comprendre car toutes les références sont bibliques.
Plus encore, « le lendemain », à l’aube, jour nouveau, jour de résurrection, le Gardien s’absente et demande à l’aubergiste de prendre soin de l’homme convalescent, « jusqu’à ce qu’il revienne ». Là aussi un chrétien comprend : à l’évêque, Jésus monté au Ciel a confié l’humanité sauvée par le baptême : il doit la nourrir et la fortifier dans son Église, jusqu’à ce qu’il revienne. Le Gardien-Jésus dit encore : « Tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai. » En araméen, il ne s’agit pas simplement d’un remboursement, mais d’une récompense : d’un remboursement au centuple. La part des justes.

Alors Jésus conclut son midrash par une question-piège : « Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Or le docteur de la Loi avait demandé : « Qui est mon prochain ? » Jésus a inversé la question : il ne s’agit pas de juger les hommes pour savoir qui est celui dont je dois prendre soin ; mais il s’agit de se faire proche de tous les hommes pour devenir soi-même leur prochain. Alors le docteur de la Loi répond à Jésus en confessant que le Samaritain, c’est Dieu. Il dit :  « Celui – on ne prononce pas le Nom de Dieu – qui a fait preuve de pitié envers lui ». Il sait que Dieu seul peut faire miséricorde, peut pardonner les péchés. Alors Jésus donne au docteur de la Loi sa licence en théologie et sa vocation chrétienne : « Va, et toi aussi, fais de même. »

dimanche 6 juillet 2025

06 juillet 2025 - VALAY - 14ème dimanche TO - Année C

Is 66, 10-14c ; Ps 65 ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 1-12.17-20
 
Chers frères et sœurs,
 
Jésus nous enseigne aujourd’hui ce qu’est l’évangélisation : la proclamation de la bonne nouvelle de sa résurrection et de l’ouverture du ciel à ceux qui sont baptisés en son nom. Il y a plusieurs choses à noter.
 
Tout d’abord, Jésus désigne 72 disciples, en plus des Douze apôtres, déjà appelés auparavant. Pour saint Luc, le nombre 72 n’est pas choisi au hasard. Il signifie que les disciples sont envoyés à toutes les générations – la généalogie de Jésus dans saint Luc compte 72 générations – de telle sorte que l’évangile soit annoncé à tous les âges jusqu’à la fin des temps, jusqu’au dernier jour, Jésus étant au centre de l’histoire du salut. C’est ainsi que saint Irénée de Lyon le comprend. Il note également que ce nombre représente aussi l’universalité des nations et des langues – toute l’humanité en somme.
 
Ensuite, Jésus enseigne que les disciples sont envoyés par lui, là où lui-même Jésus doit se rendre. Les disciples sont des ambassadeurs qui annoncent sa venue, la venue de son règne. Ils sont précurseurs pour les nations, comme saint Jean-Baptiste était lui-aussi précurseur pour Israël.
Cependant Jésus n’agit jamais seul, mais toujours avec le Père et l’Esprit Saint. Ainsi, lorsque les disciples annoncent la paix à une famille, à un pays, soit ceux-ci sont déjà amis de la paix – c’est-à-dire que le Père a déjà préparé leur cœur à recevoir la bonne nouvelle – et c’est l’illumination ; soit ce n’est pas le cas et la mission aboutit à l’échec.
Ainsi notre Père devance déjà les missionnaires dans le cœur des gens ; les missionnaires n’ont qu’à leur annoncer la paix au nom de Jésus : il suffit, par grâce, qu’ils l’accueillent et s’en réjouissent, pour que cette paix – c’est-à-dire l’Esprit Saint – vienne reposer sur eux, et qu’avec elle, Jésus lui-même vienne habiter dans leur cœur.
Relevons que, pour Jésus, nombreux sont ceux qui sont en attente de la bonne nouvelle : « la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. »
 
D’un point de vue pratique, Jésus envoie ses disciples « comme des agneaux au milieu des loups », c’est-à-dire sans aucune agressivité, et ne répondant par la réciproque à aucune agressivité. Au contraire, il s’agit de faire preuve d’innocence et d’humilité. Jésus précise ensuite : « ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ». On peut comprendre que les disciples ne doivent pas s’embarrasser de biens inutiles pour se confier plutôt à la Providence.
Cependant, le vocabulaire employé par saint Luc désigne des objets assez précis. La bourse dont il est question renvoie aux notions d’idolâtrie et de vol, au mauvais usage de l’argent. Le sac correspond plus à une sorte de carquois qu’à une besace : c’est dans ce type de sac que David avait placé les cinq pierres dont il allait frapper Goliath. Probablement Jésus veut-il dire ici que l’annonce de l’Évangile ne peut pas se faire sous forme de menace, de coercition. Il s’agit plutôt d’une libre bénédiction, ce pourquoi Jésus invite ensuite ses disciples à prendre soin des malades. La référence aux sandales est plus difficile à comprendre. Il s’agit de sandales de rechange. Certainement Jésus demande-t-il à ses disciples de se présenter en ayant renoncé à toutes les dignités mondaines, jusqu’à risquer de se retrouver un jour publiquement pieds nus, c’est-à-dire en totale humilité, dans la position d’esclave.
Tout cela nous donne un bon portrait-robot du chrétien, ambassadeur du Christ : innocent comme un agneau, il est humble et pauvre, doux et chaleureux, abandonné à la Providence. On pense aux Béatitudes ; on pense aussi à Jésus lui-même.
 
Pour terminer, attardons-nous à l’observation joyeuse des disciples : « Même les démons nous sont soumis en ton nom ! », ce dont Jésus se réjouit également. En effet, il se passe sur terre avec les missionnaires de l’Évangile, ce qui se passe au ciel avec Michel et ses anges, combattant Satan et ses démons. Comme si c’était le même combat sur la terre et dans le ciel, comme si l’armée des disciples correspondait à celle des anges. Mais c’est bien le cas ! Et si Jésus voit que ses disciples sont vainqueurs des démons, c’est qu’il en est de même au ciel pour Michel et ses anges. Alors c’est que, d’une part, le Jour de Dieu est proche, et d’autre part, que les noms des disciples sont déjà inscrits dans les tables des armées du ciel, dans le grand livre de la communion des saints.
 
Voilà, chers frères et sœurs, l’enseignement de Jésus sur l’évangélisation. Soyons conscients de notre dignité à ses yeux, tout en étant les plus humbles parmi les hommes. Combattons fermement les puissances du mal, mais soignons avec douceur ceux qui en souffrent. Ne nous reposons pas sur les biens terrestres, mais sur l’aide généreuse des personnes que le Seigneur a prédisposées à recevoir de nous la bonne nouvelle : ils sont en attente, et ils sont plus nombreux que nous l’imaginons. Et cela, jusqu’au Jour de la venue de Jésus. 

mardi 1 juillet 2025

29 juin 2025 - COURCUIRE - Saints Pierre et Paul - Année C

Ac 12, 1-11 ; Ps 33 ; 2Tm 4,6-8.17-18 ; Mt 16, 13-19
 
Chers frères et sœurs,
 
Les deux premières lectures ont été choisies pour la fête des saints Pierre et Paul parce qu’elles correspondent le mieux à la fin de leur séjour terrestre.

En effet, après sa libération de prison, le livre des Actes n’évoque plus la figure de Pierre. Et sa sortie de prison ressemble à une résurrection. Comme au tombeau de Jésus, telle que l’ont vue les saintes femmes, une lumière brillante illumine la cellule de Pierre. Et les chaînes tombent : celles de la mort pour Jésus, celles de fer pour Pierre. Si Jésus rejoint la gloire de Dieu – l’assemblée des anges et des saints – dans son ascension à la droite du Père, Pierre rejoint la communauté chrétienne de Jérusalem, l’Église réunie. Mais il s’agit de la même réalité, puise que l’Église sur la terre est inséparable de l’Église céleste : c’est la même assemblée. Du point de vue historique, il est possible que Pierre ait bénéficié d’une évasion par protection, ce pourquoi il a ensuite été exfiltré de Jérusalem vers Antioche puis à Rome, où finalement il a été martyrisé, sous le règne de Néron.
Dans sa seconde lettre à Timothée, Paul annonce qu’il est « déjà offert en sacrifice », c’est-à-dire qu’il est condamné à mort. Il s’attend d’ailleurs à recevoir bientôt la « couronne de justice », non pas lui seul, mais aussi les autres chrétiens également condamnés, certainement lors d’une persécution collective. Paul fait une belle confession de foi quand il dit que le Seigneur l’a « assisté », l’a « rempli de force » - c’est-à-dire qu’il avait conscience que l’Esprit Saint était avec lui. Il a foi dans le Seigneur face à la mort : « J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. » On ne peut pas être plus explicite. Comme Pierre, Paul était juif, bien sûr, mais il était aussi citoyen romain. C’est pourquoi il meurt décapité à l’extérieur de la ville, sans doute dans les mêmes années que le martyre de Pierre.
À travers ces deux témoignages, nous devons nous rappeler sans cesse la puissance de la résurrection de Jésus qui illumine tout homme par le baptême, et celle de l’Esprit Saint qui fortifie les croyants jusqu’au martyre – c’est-à-dire jusqu’au témoignage par l’offrande de leur vie par amour pour Dieu et pour les hommes. Le témoignage de Pierre fonde notre foi, celui de Paul la fortifie.
 
Justement, dans l’évangile, Jésus affirme en s’adressant à Simon-Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. » Je voudrais simplement vous donner quelques repères pour mieux comprendre cette affirmation.
La première est que la scène se passe dans la région de Césarée-de-Philippe, qui est une région païenne. Nous avons une indication chronologique un peu plus loin dans l’évangile, au moment de la Transfiguration de Jésus, qui nous indique que la confession de Pierre a lieu le jour du Yom Kippour, le jour du « Grand Pardon » où le Grand Prêtre entre dans le Saint-des-Saint du Temple pour accomplir le rite particulier de ce jour, en y prononçant notamment le Nom de Dieu.
Saint Pierre s’est-il rendu compte que le Saint-Esprit lui a fait prononcer sa confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », au moment où un autre « Pierre », le Grand Prêtre Caïphe, professait aussi le Nom de Dieu ? Car « Pierre », en araméen se dit « Képha », la même racine que « Caïphe ». Si Caïphe cependant confessait le Nom de Dieu dans le Temple, notre Pierre, lui, l’a fait en terre païenne : car avec Jésus ressuscité et l’effusion de l’Esprit, le Nom de Dieu est confessé de par toutes les nations, en tout lieu et en tout temps. Mais alors, quel est le Temple où notre Pierre officie-t-il ?
Jésus l’a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Le Temple nouveau : c’est l’Église. D’ailleurs, en hébreu, les mots ont même racine pour désigner l’« Assemblée » du Peuple d’Israël au désert et la « Tente » de la Rencontre, où officiait Aaron, Tente qui deviendra par la suite le Temple de Jérusalem. Il est intéressant de constater que Aaron et les Grands Prêtres ont été choisis pour officier dans le Temple, tandis c’est Pierre qui sert de fondation à l’Église. C’est l’inverse en quelque sorte. Pour les premiers la foi est suggérée par le culte et le culte est toujours en un même lieu, tandis que pour nous le culte peut être démultiplié en des lieux différents pourvu qu’il soit fondé sur la foi de Pierre, la foi en la résurrection de Jésus. Et cela non pas seulement en Terre sainte, mais aussi dans les territoires païens où les gens adorent des idoles.
 
Pour finir, chers frères et sœurs, Jésus ajoute que les « Puissances de la mort » ne « prévaudront pas » contre l’Église et il confie à Pierre les « clés du royaume des Cieux ». Il faut comprendre que l’Église, c’est-à-dire l’Assemblée sainte qui assure le culte du vrai Dieu dans la foi en Jésus ressuscité avec la force que donne l’Esprit, cette Église sera confrontée à des puissances néfastes impressionnantes et dangereuses, mais la victoire est assurée pourvu qu’elle demeure fidèle à la foi de Pierre. C’est à Pierre et à ses successeurs qu’est confié le discernement des événements, le jugement des actions et des enseignements, pour confirmer l’Église dans la foi en tout lieu et en tout temps, et la garder dans l’unité de la charité, jusqu’au jour de la venue bienheureuse de notre Seigneur Jésus.

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