Is
62, 1-5 ; Ps 95 ; 1 Co 12, 4-11 ; Jn 2, 1-11
Chers
frères et sœurs,
Le
prophète Isaïe a fait savoir que le Seigneur épouserait lui-même Sion,
c’est-à-dire son peuple d’abord, et plus largement l’humanité. Un chrétien
comprend que l’épouse de Dieu, c’est l’Église. Comme cette annonce suscite une
grande joie, Sion, le Peuple de Dieu, l’Église, y répondent par le psaume 95 :
« Chantez au Seigneur et bénissez son nom ! » - c’est pourquoi
aussi, dans notre prière, nous disons : « Que ton Nom soit sanctifié. »
Isaïe
dit également : « ton Bâtisseur t’épousera. » Justement,
les premiers chrétiens ont comparé l’Église à une tour, une construction, faite
de multiples pierres élevées sur la Pierre angulaire qu’est le Christ, dont saint
Pierre porte témoignage. C’est de cette multiplicité de pierres dont parle
saint Paul aux Corinthiens : « les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit » ; « À chacun est donnée la
manifestation de l’Esprit en vue du bien. » La multiplicité des
vocations dans l’Église est suscitée par un unique Esprit pour l’expression
d’un seul bien : la communion dans l’unique Corps du Christ, le repas des
noces de Dieu avec son Peuple.
Ainsi
donc, les textes de ce jour nous invitent à comprendre le signe de Cana comme
l’annonce du mariage entre Dieu et l’Église, où sera célébrée une alliance
encore inconnue sur la terre, une alliance célébrée par le partage d’un vin
nouveau, très bon et inépuisable, éternel, dont saint Paul nous dit qu’il est
Esprit.
La
manière dont saint Jean rapporte les événements de Cana nous invite à retrouver
cette lecture. Tout d’abord, comme toujours chez saint Jean, le récit est
parfaitement factuel, historique. Car pour lui, c’est dans la réalité des
événements que se manifeste leur véritable sens. Autrement, c’est de
l’idéologie.
Que
se passe-t-il donc ? Marie, Jésus et ses disciples sont à un mariage, où…
il n’y a pas de vin. Il n’est pas très clair dans les textes de comprendre si
il n’y a plus de vin – parce que les invités ont déjà tout bu – ou si il
n’y en a pas dès le départ. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a certainement
pas le vin dont parle la Vierge Marie qui, dans l’esprit de saint Jean, est un
vin très spécial, unique : le vin nouveau de la vie éternelle, l’Esprit
Saint.
Jésus
répond à sa mère. Ici aussi, le sens du texte est ambigu. Jésus rabroue-t-il
Marie, comme si elle était une horrible Ève tentatrice ? Ou bien veut-il
lui faire comprendre que ce n’est pas leur problème de résoudre des défauts
d’intendance ? Dans l’esprit de saint Jean, on peut retourner ces deux
questions : Marie, la nouvelle Ève, Sion, figure l’Église qui prie son
Dieu de lui donner – ainsi qu’à toute l’humanité – ce dont elle a besoin pour
vivre : l’Esprit Saint. Il ne s’agit donc pas d’abord d’un problème
d’intendance humaine, mais pour le moins de l’accomplissement de la volonté du
Père. C’est pourquoi Jésus n’objecte pas sur le fond, mais seulement sur
l’heure. On voit bien, dans l’évangile que, pour Jésus aussi, il n’est pas tant
question de vin à boire que du véritable vin qui vient de Dieu, l’Esprit Saint.
Marie
est étonnante. Jésus a botté en touche, mais… elle marque le but : « Tout
ce qu’il vous dira, faites-le. » C’est la toute dernière parole de
Marie dans les évangiles. Elle s’adresse aux serviteurs de l’époux ; c’est-à-dire
aux Apôtres. Et c’est à eux qu’il revient d’accomplir, par leur obéissance à
Jésus, ce qui faut faire pour obtenir le vin nouveau, à partir de la simplicité
des dons qu’ils présentent, c’est-à-dire de l’eau. N’oubliez pas cette parole
de Jésus : « Faites cela, en mémoire de moi. » Et
réentendons la parole de Marie : « Tout ce qu’il vous dira,
faites-le. »
Il
y a donc là six jarres de pierre. Six, signe d’imperfection. Car la septième
jarre de pierre est Jésus lui-même, le rocher d’où sort l’eau vive dans le
désert, et le corps transpercé de Jésus en croix, duquel s’épanchent l’eau et le
sang, signes de l’Esprit. Jésus demande que les jarres soient remplies « jusqu’au-dessus » :
cela déborde ! Car, dans son abondance, le don de Dieu dépasse toujours
les capacités humaines à le recevoir. Dieu en fait toujours trop ; c’est
typique de sa part. Il est comme ça.
Là,
le maître du repas ne comprend pas : « tu as gardé – dit-il au
marié – le bon vin jusqu’à maintenant ! » Comme saint Luc,
Jean pratique le jeu des petits cailloux semés sur le chemin, pour nous
conduire à comprendre quelque chose. Ici le caillou, c’est : « jusqu’à
maintenant ». Cette expression signifie deux choses. D’une part que
« maintenant » est arrivé le temps de la fin de la plus grande
détresse qu’on puisse connaître dans toute l’histoire du monde. C’est la fin du
cauchemard et c’est le retour de la lumière, de la paix et de la
joie : la résurrection, la naissance du monde nouveau. Et d’autre part
« jusqu’à maintenant », dans le livre d’Esdras, c’était la
construction du Temple de Jérusalem au retour de l’Exil à Babylone ; et
« maintenant », c’est son achèvement. Le Temple, c’est la
construction, la tour, l’Église dont Isaïe parlait tout à l’heure.
Alors,
que devons-nous conclure ? À l’occasion des noces de Cana, où il y a eu un
défaut matériel de vin, à la demande de Marie, Jésus a fait surgir du bon vin
dans des jarres et l’a fait distribuer par des serviteurs. Pour saint Jean, et
pour nous, ce vin est d’abord le signe de l’Esprit Saint, qui est répandu en
abondance pour l’Église, pour construire l’Église, corps du Christ et nouveau
Temple de Dieu.
Ce
vin est donné « maintenant », c’est-à-dire au jour de la
résurrection, le « troisième jour », comme pour des noces.
Mais ce vin est aussi et déjà celui de la communion eucharistique :
« Faites cela en mémoire de moi » a dit Jésus à ses disciples,
comme Marie a dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira,
faites-le. » Il est donc très clair qu’à chaque messe – c’est-à-dire
« maintenant » – nous sommes à Cana ! Et quand nous
serons au ciel, nous y serons aussi, dans la joie de l’Esprit.