Ne
8, 2-4a.5-6.8-10 ; Ps 18 ; 1 Co 12, 12-30 ; Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21
Chers
frères et sœurs,
Tout
se tient. Commençons par Esdras. En 538 avant Jésus-Christ, il y a 2.500 ans, les
Hébreux exilés à Babylone ont reçu de Cyrus, roi de Perse, ordre de revenir à
Jérusalem, d’y vivre selon leur Loi – la Loi donnée par Dieu à Moïse – et d’y
reconstruire le Temple du Seigneur. Lorsque Esdras prend la parole, depuis sa
tribune de bois, il proclame donc la Loi en Hébreu, qu’il lit dans les rouleaux
de la Torah. Chapitre après chapitre, des lévites assurent la traduction
en araméen et expliquent le texte aux gens, pour qu’ils comprennent. Le rôle
des lévites est très intéressant : il ont un rôle de prophètes. Les
prophètes ne sont pas tant des gens qui font des prédictions, que des gens qui
traduisent la Parole de Dieu et en donnent l’explication. C’est Dieu lui-même qui,
par sa Parole, dit quelque chose de l’avenir.
Maintenant
retrouvons Jésus, à la synagogue de Nazareth. Il se trouve dans le rôle
d’Esdras, puisqu’on lui tend un livre de l’Écriture, pour qu’il en fasse la
lecture. Normalement Jésus a fait cette lecture en Hébreu – ce qui signifie,
par conséquent, qu’il savait lire, et même lire l’hébreu. Mais comme au temps
d’Esdras, la plupart des gens parlaient l’araméen. Il fallait donc traduire et
expliquer le texte. À la synagogue, encore aujourd’hui, c’est le rôle du targeman,
du traducteur. Pour faciliter son travail, il existe des Targums de
chaque livre biblique, c’est-à-dire des traductions plus ou moins officielles.
Ceci explique pourquoi la citation d’Isaïe lue par Jésus que nous donne saint
Luc ne correspond pas exactement au même passage du livre d’Isaïe en
Hébreu : c’est manifestement une traduction en araméen, tirée d’un Targum
d’Isaïe. Donc, après que Jésus ait lu Isaïe en Hébreu, soit
lui-même, soit le targeman de la synagogue, l’ont traduit en araméen. Et
Jésus a donné l’explication : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage
de l’Écriture, que vous venez d’entendre »
Passons
ensuite à saint Luc qui rédige son évangile pour l’« excellent
Théophile ». « Excellent » est un titre honorifique :
Théophile est quelqu’un de très important. Alors que saint Luc a l’intention de
« recueillir avec précision des informations » sur Jésus, il
est impensable que Théophile ne soit pas un personnage réel. Le seul Théophile connu,
qui puisse être qualifié d’« excellent » et qui mérite d’être
mentionné comme tel dans un évangile, a été Grand Prêtre de 37 à 41. C’est un
des fils du Grand Prêtre Hanne, beau-père de Caïphe. D’après certains exégètes,
Théophile est aussi le grand père de Jeanne, femme de Chouza, intendant
d’Hérode. Il n’y a que saint Luc qui parle de Jeanne dans son évangile ;
manifestement, il l’a fait exprès. Pourquoi tout cela est-il important ?
Voilà comment il faut comprendre les choses :
Jésus
est lui-même la Parole de Dieu, le Verbe de Dieu qui s’est fait chair parmi
nous et s’est rendu visible à nous. Il est donc lui-même la source de la Loi
qui a été donnée à Moïse. Ainsi, lorsque les Apôtres proclament l’Évangile, ils
proclament la Parole de Dieu, c’est-à-dire Jésus, sa vie, ses enseignements et
ses actes. Leur témoignage direct est celui des « témoins oculaires et
serviteurs de la Parole » dont parle saint Luc. On appelle leur
témoignage la « Tradition apostolique ». En fait, les Apôtres sont
comme Esdras : ils proclament la « Loi nouvelle » en hébreu ;
ou bien ils sont comme Jésus dans la synagogue : ils lisent « la
Parole » directement dans le texte.
Mais
pour que Théophile puisse saisir de quoi il est vraiment question, c’est-à-dire
qui est vraiment Jésus, il faut lui raconter et lui expliquer dans un langage
qu’il puisse comprendre. Saint Luc fonctionne donc comme les lévites d’Esdras, ou
comme le targeman qui lit le Targum, la traduction d’Isaïe :
il traduit la « Tradition apostolique », et il l’explique de telle
sorte qu’un Grand Prêtre puisse comprendre.
Ceci
est très important pour nous. Cela veut dire que l’évangile de Luc, comme celui
de Marc, ou celui de Matthieu, sont des traductions et des explications du seul
et véritable Évangile qu’est Jésus lui-même, sa vie, ses enseignements et ses
actes – selon la Tradition apostolique. Et bien sûr, les évangiles sont des
traductions et des explications à des publics différents. C’est pourquoi ils ne
sont pas exactement les mêmes et ils n’insistent pas sur les mêmes choses. Les
évangiles ne sont pas la Parole de Dieu, mais ils nous parlent et nous
expliquent la seule vraie Parole de Dieu qui est Jésus lui-même.
Et
terminons par nous aujourd’hui. Voici la tribune [= l’ambon] où Esdras proclame
la Loi de Moïse et où Jésus lit le livre d’Isaïe. C’est là que se font
les lectures des Écritures. Et bien sûr, c’est là que nous proclamons la Loi
nouvelle, la Parole de Dieu, Jésus lui-même, à travers la lecture d’un évangile.
Évidemment, même si nous les écoutons en français, les Écritures ont des
milliers d’années, et les évangiles ont bientôt deux mille ans ! Qui peut
comprendre leur langage du premier coup ? C’est pourquoi, après avoir lu
les Écritures et proclamé l’Évangile, il me revient, comme les lévites
d’Esdras, comme le targeman dans la synagogue, comme saint Luc pour
Théophile, de vous traduire en français d’aujourd’hui ce qui a été lu et de
l’expliquer, de sorte que tout le monde puisse comprendre. Je sais que ce n’est
pas facile, mais c’est ainsi que se fait la transmission de la Parole de Dieu
chez les Hébreux, les juifs et les chrétiens, dans les synagogues et dans les
églises. Sur ce point, on est les mêmes, parce que notre Dieu est unique et il
est toujours le même.