dimanche 30 juin 2024

30 juin 2024 - VALAY - 13ème dimanche TO - Année B

 Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24 ; Ps 29 ; 2Co 8, 7.9.13-15 ; Mc 5, 21-43
 
Chers frères et sœurs,
 
Aujourd’hui Jésus guérit une femme adulte et une jeune fille. La première est malade depuis douze ans, et la seconde, qui est en train de mourir, est âgée de douze ans. Évidemment ce n’est pas un hasard.
 
Que se passe-t-il pour la première ? Elle a un écoulement de sang : depuis douze ans sa vie se disperse et elle s’épuise. La femme dilapide sa fortune en essayant tous les médecins et tous les médicaments possibles, sans arriver à rien et même en abîmant encore plus sa santé. Et aux yeux de tous, sa maladie la rend impure : elle est considérée comme une pestiférée. Selon la Loi de Moïse, nul n’a le droit de l’approcher, et encore moins de la toucher.
Mais sa maladie n’est pas seulement physique, elle est surtout l’effet d’une maladie cachée, qui est en fait sa vraie maladie. Jésus nous la révèle quand il lui dit : « sois guérie de ton mal. » Ici, il emploie un mot qui se trouve au Livre de l’Exode où il est question des fléaux de Dieu contre les serviteurs de Pharaon, parce qu’ils ne reconnaissent pas Dieu comme le seul vrai Dieu. En réalité, le vrai mal de cette femme est que, depuis douze ans, elle est infidèle à Dieu, elle n’a plus foi en Dieu. Du coup, pour compenser, elle se disperse, elle se distraie, se crée des tas d’idoles, et se perd davantage : de plus en plus elle perd sa force spirituelle, sa vie spirituelle qui est l’amour de Dieu, et elle s’enfonce dans la mort. Et c’est bien pourquoi son geste, en même temps très délicat et très osé – toucher du bout du doigt le vêtement de Jésus – est le signe qu’elle n’en pouvait vraiment plus et qu’elle lui demandait, sans oser le lui dire ouvertement, de la sauver. Or cela, c’est la foi, peut-être sa dernière étincelle de foi, mais Jésus l’a bien perçue : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Il est remarquable que Jésus ait perçu le cri silencieux de cette femme à travers son propre corps. En effet, dès qu’elle a touché son vêtement, Jésus s’est rendu compte – en grec a « reconnu » – qu’une force était sortie de lui. Et la femme de même, a « ressenti » – en grec a « connu » – dans son propre corps qu’elle était guérie. Or le verbe « connaître », chez saint Jean notamment, renvoie directement à la rencontre charnelle d’un homme et d’une femme quand ils s’aiment. Il faut comprendre ici que la puissance de vie et d’amour de Dieu est telle que, quand il guérit, il donne en même temps la vie : il crée une vie nouvelle, qui est en même temps une communion d’amour avec lui. C’est la puissance de l’Esprit Saint. C’est très intime et très fort en même temps. C’est déjà la puissance de la résurrection. Et c’est ce qui est arrivé entre la femme et Jésus.
Il est évident que celui qui prie Jésus avec l’intensité de cette femme, avec la foi du désespoir en quelque sorte, mais avec la volonté de vivre : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée » dit-elle, sa prière sera entendue… « au bout de douze ans », c’est-à-dire exactement quand l’heure de Dieu sera venue.
 
Maintenant que se passe-t-il pour la jeune fille ? Ce n’est pas elle qui prie cette fois-ci, c’est son papa. Il est le chef de la synagogue – et il tombe aux pieds de Jésus. C’est très impressionnant de voir cet homme très en vue dans le village, c’est un notable, être aussi ému et angoissé pour sa fille. Il n’hésite pas, devant tout le monde, à prier Jésus pour elle.
Pour Jésus la situation est devenue un calvaire. En effet, saint Marc fait plusieurs fois allusion à sa Passion : la foule l’écrase – comme on broie du blé pour en faire de la farine, comme on presse du raisin pour en faire du vin. On se moque de lui quand il dit que l’enfant dort, comme on s’est moqué aussi de lui quand il a été mis en croix : « toi qui en as sauvé d’autres, sauve-toi toi-même ! » En fait, en allant chercher la petite fille, Jésus est très angoissé car il est entré en communion avec elle : avec elle et pour elle, il va dans les ténèbres de la mort, mais pour la ramener des ténèbres à la lumière de la vie.
Il dit à son père : « Ne crains pas » or il n’y a que Dieu ou l’Ange de Dieu qui peut dire cela à un homme. Il prend la main de la jeune fille – or la main de Dieu, c’est l’Esprit Saint. Et il dit à la jeune fille : « Talitha koum » : « lève-toi », c’est-à-dire : « ressuscite ! ». Il faut bien comprendre ici que c’est Dieu qui parle, avec la puissance de l’Esprit Saint, plus forte que la mort. Et c’est pourquoi tous les assistants à cette scène sont frappés d’une « grande stupeur » – c’est-à-dire qu’ils sont tellement impressionnés qu’ils ont même un peu peur. Car Dieu seul peut faire ce qu’a fait Jésus.
La jeune fille se met à marcher – saint Marc précise alors qu’elle a douze ans – et Jésus demande à ses parents de lui donner à manger. Pour les juifs comme pour les premiers chrétiens, le sens est évident : la jeune fille se met à marcher à la suite de Jésus, en suivant les commandements de Dieu, de l’amour de Dieu et du prochain. Elle a douze ans, c’est-à-dire qu’elle est devenue majeure – adulte dans sa foi. Elle n’a plus besoin qu’on lui dise d’aller au caté ou à la messe, comme une gamine, elle a décidé qu’elle était suffisamment grande pour y aller d’elle-même. Parce qu’elle sait que Jésus est la source de sa vie. Et c’est pourquoi elle a faim : faim de la Parole de Dieu, de la vie de Jésus, de son Esprit : elle a besoin de communier pour vivre. Elle avait douze ans, parce que comme la femme de tout à l’heure, l’heure de Dieu était aussi arrivée pour elle.
 
Douze ans, cela arrive qu’on ait 7 ou 77 ans. L’essentiel est de savoir qu’en dehors de Jésus et de la puissance de son Esprit Saint, il n’y a pas de vie véritable. Mais quand on aime Dieu, alors on est en communion avec lui, dans son amour, pour la vie éternelle.
 

dimanche 23 juin 2024

22-23 juin 2024 - BETONCOURT-LES-MENETRIERS - LE PONT DE PLANCHES - 12ème dimanche TO - Année B

Jb 38, 1.8-11 ; Ps 106 ; 2Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41
 
Chers frères et sœurs,
 
Nous sommes impressionnés par cet épisode de la tempête apaisée. Certainement que, lorsque cet événement est arrivé, sur le lac de Tibériade, les disciples ont vraiment eu peur, et ont été vraiment impressionnés. Mais, à l’époque, ils ne pouvaient pas comprendre que c’était une prophétie de la mort et de la résurrection de Jésus. En effet, si l’on comprend qu’il faut lire ces deux événements en parallèle, ou plutôt en les superposant, alors tout s’éclaire dans notre évangile de ce dimanche. Suivons le texte pas à pas.
 
« Ce jour, là, le soir venu », c’est le jeudi saint, où Jésus annonce à ses disciples que son Heure est venue : « Passons sur l’autre rive » - dans le texte araméen, il est écrit précisément : « Passons vers au-delà. »

Les disciples emmènent Jésus « comme il était », dans la barque. La mention « comme il était » est bien curieuse ; mais on la retrouve au second livre des Rois : « Au crépuscule, les Araméens s’étaient mis en route et avaient pris la fuite, abandonnant leurs tentes, leurs chevaux et leurs ânes, en un mot, le camp tel qu’il était ; ils s’étaient enfuis pour sauver leur vie. » Si saint Marc l’a bien fait exprès, il dit entre les lignes, de manière voilée, que ce n’est pas tant les disciples qui emmenèrent Jésus « tel qu’il était » mais plutôt qu’eux-mêmes l’abandonnèrent « tel qu’il était », entre les mains des soldats du Temple, pour sauver leur vie.

D’ailleurs, survint une « violente tempête ». Et comment ! Il s’agit du jugement, de la Passion et de la mort de Jésus sur la Croix. Et la barque des disciples se remplissait d’eau : la mer, pour les Hébreux, c’est la mort. La mort gagnait sur eux. Et nous savons combien ils avaient peur, terrorisés, enfermés au Cénacle après la mort de Jésus. C’est bien ce que saint Marc nous dit : « Jésus dormait » - il était mort ; reposant « sur le coussin », ou plutôt la couche, sur la pierre du tombeau.

Le cœur des disciples crie : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Souvenez-vous de cette interpellation, nous l’avons entendue ailleurs ; on croirait entendre Marthe : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Ces deux sœurs avaient interpellé Jésus avec la même parole : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » C’était à propos de la mort de Lazare. Jésus avait été bouleversé aux entrailles et il avait ressuscité Lazare.

Justement, dans la barque, Jésus est maintenant « réveillé » - en langage chrétien : il est ressuscité. Il interpelle le vent et la mer. Au premier il dit « silence ! » La traduction est ici la version la plus soft qu’on puisse trouver. Un exégète a noté que l’expression employée par Jésus est – je cite – « sans doute une locution énergique populaire »… à la seconde, il dit « tais-toi ! », c’est-à-dire qu’il la muselle, comme il a muselé les démons à d’autres occasions. Jésus est plus puissant que la mort et les enfers. C’est pourquoi « il se fait un grand calme ». Ici, saint Marc fait référence à la Genèse. En araméen, ce « calme » correspond au repos du Seigneur, au septième jour de la Création, repos du Shabbat, et le même que celui qui se fit à la fin du Déluge, quand l’arche de Noé se posa enfin sur le Mont Ararat. À travers ce « calme » saint Marc fait allusion à la présence nouvelle de Jésus ressuscité, premier-né d’entre les morts, nouvel Adam, nouveau Noé, dont l’Église est l’Arche.

Et ce sont bien les mêmes paroles que Jésus dit à ses disciples au moment de sa première apparition : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » ; « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! »

Voilà pourquoi, en présence de Jésus disant ces paroles les disciples – qui avaient peur – maintenant sont « saisis d’une grande crainte ». Il s’agit ici d’une terreur sacrée, que les hommes n’éprouvent qu’en présence de Dieu, en présence de l’Ange du Seigneur – ici Jésus ressuscité.

Et vient la question finale : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » La réponse est dans le psaume, que saint Marc a également utilisé en filigrane, et que nous avons lu : « Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur, et lui les a tirés de la détresse, réduisant la tempête au silence, faisant taire les vagues. » Celui qui réduit la tempête au silence et fait taire les vagues, c’est le Seigneur et c’est Jésus : c’est le même. La réponse à la question des disciples est : « Jésus est Dieu, qui était mort et est ressuscité, et qui a pouvoir sur la mort et sur les démons. »
 
On terminera en revenant sur la parole de Jésus : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Le contraire de la foi, ce n’est pas le doute, ni le scepticisme, c’est la peur… Lorsque nous sommes confrontés à l’adversité, à l’inconnu, nous sommes tentés par la peur. Mais Jésus nous dit : « N’ayez pas peur, c’est bien moi » ; « Je suis là. »

dimanche 16 juin 2024

16 juin 2024 - GRAY - 11ème dimanche TO - Année B

Ez 17, 22-24 ; Ps 91 ; 2 Co 5, 6-10 ; Mc 4, 26-34
 
Chers frères et sœurs,
 
Alors que nous traversons des temps troublés, l’enseignement de Jésus est de nature à nous rassurer, à nous apporter la paix dont nous avons besoin, et dont le monde a besoin autour de nous. En effet, le règne dont parle Jésus est l’œuvre de l’Esprit Saint, œuvre tout aussi invisible qu’efficace, puisque, au bout du compte, l’Esprit arrive à ses fins : la semence devenue du blé est moissonnée, signe d’abondance, ou bien elle a suffisamment grandi pour devenir un abri pour les oiseaux du ciel. L’Esprit saint travaille donc avec certitude à notre vie et à notre protection. Tout le monde peut comprendre cela.
 
Mais nous voyons aussi qu’il existe un enseignement mystérieux, voilé, dont la compréhension est réservée aux seuls disciples de Jésus. Nous aimerions bien en savoir un peu plus, n’est-ce pas ? Pour nous justement, qui sommes des disciples, nous pouvons entrer dans cette compréhension comme Jésus nous a appris à le faire, c’est-à-dire à la lumière des Écritures – de l’Ancien Testament, et de sa vie même – l’Évangile.
 
Mais saint Marc qui rapporte les paroles de Jésus, sait bien que nous ne pouvons pas comprendre les paraboles s’il ne nous donne pas aussi quelques indications. Celles-ci sont semées dans le texte, comme des informations anodines, mais qui pourtant nous en donnent la clé.
Par exemple, le règne de Dieu, comme la semence, grandit « il ne sait comment ». Immédiatement cette remarque doit nous rappeler cette phrase de Jésus à Nicodème : « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. » C’est pourquoi j’ai dit précédemment que le règne de Dieu était l’œuvre de l’Esprit Saint, qui donne vie, ordonne et conduit toute chose à sa fin.
Autre exemple, « D’elle-même » la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, etc… Or dans l’Écriture, quand la terre produit seule son fruit, « d’elle-même », c’est qu’il s’agit d’une année sabbatique, une année de grâce offerte par le Seigneur. Jésus nous indique ainsi que la croissance du règne de Dieu est un effet de sa grâce, une œuvre de Dieu, qui saisit tout la création et l’homme, presque malgré eux.
Il n’aura pas échappé aux disciples de Jésus que la Loi de Moïse interdit aux hommes de moissonner durant une année sabbatique, pourtant c’est bien ce que fait l’homme de la parabole, avec sa faucille. C’est donc que cet homme est Dieu lui-même.
Mais la mention de la « faucille » renvoie directement à une prophétie du Livre de Joël, qui sera reprise dans le Livre de l’Apocalypse : « Lance ta faucille et moissonne : elle est venue, l’heure de la moisson ». Le simple usage du mot « faucille » annonce donc que l’Heure du jugement est venue, c’est-à-dire de la disparition du monde ancien et de la naissance du monde nouveau : le règne caché jusqu’alors apparaît au grand jour, dans la gloire.
Cependant – et saint Irénée de Lyon l’interprète bien ainsi – si la faucille est synonyme de mort, annonçant la Passion de Jésus et aussi la nôtre qui marchons à sa suite, la moisson est faite en revanche pour l’offrande du pain eucharistique, l’ascension de Jésus ressuscité au ciel, le sacrifice d’Action de grâce par excellence. Ainsi, l’œuvre de l’Esprit qui donne vie au monde, fait fructifier celui-ci en abondance, revient et présente blé et raisins, pain et vin, Jésus ressuscité et toute l’Église qui lui est unie, au Père, pour sa joie.
En définitive, par petites touches impressionnistes, Jésus nous enseigne le secret de sa mission : étendre le règne de Dieu dans le monde comme un filet de pêche est lancé dans la mer, pour en ramener une multitude de poissons.
 
La seconde parabole commence par une allusion au Livre du prophète Isaïe, où l’expression suivante revient de manière similaire à plusieurs reprises : « À qui pourriez-vous comparer Dieu, quelle forme lui donneriez-vous ? » Cette simple mention rappelle immédiatement aux disciples cette autre parole de Dieu qui se lit aussi en Isaïe : « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins ». Le règne de Dieu est pour nous totalement nouveau, et au stade où nous sommes, parfaitement incompréhensible.
Alors Jésus prend l’image de la graine de moutarde qui devient une plante si grande que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre, rappel direct – nous l’avons entendue en première lecture – de la prophétie d’Ézéchiel : « elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront. » Elle, c’est-à-dire la tige prise au sommet du grand cèdre, plantée sur la haute montagne d’Israël. Elle, c’est-à-dire Jésus, fils de David roi d’Israël, planté en croix à Jérusalem, les bras étendus.
C’est dans le prolongement de cette croix vivifiante que se développe l’Église de la terre et du ciel, le Corps glorieux du Christ, à l’ombre duquel tant et tant de pécheurs ont pu, peuvent et pourront toujours trouver le réconfort, la guérison et l’abri, la vie éternelle, la lumière et la paix dont ils ont tant besoin. La Demeure de Dieu.
 
En définitive, puisque Jésus nous enseigne le règne de Dieu par deux paraboles complémentaires, on comprendra que l’offrande eucharistique conduit à cette vie éternelle, et que cette eucharistie en est déjà la réalité vivifiante offerte pour nous aujourd’hui.  

dimanche 2 juin 2024

02 juin 2024 - CHAMPLITTE - Solennité du Saint-Sacrement - Année B

 Ex 24, 3-8 ; Ps 115 ; He 9, 11-15 ; Mc 14, 12-16.22-26
 
Chers frères et sœurs,
 
Pour entrer dans la compréhension des lectures et de l’Évangile que nous avons entendus, la première chose à considérer est qu’il y a deux mondes : d’un côté notre monde, le monde des hommes, la création, qui est limité, marqué par le péché et par la mort, que l’on appellera « la terre » – et de l’autre le monde de Dieu, que Jésus appelle le Royaume des Cieux, auquel nous sommes appelés pour une vie éternelle, dans la paix, la joie et la lumière, que l’on appellera « le ciel ». Il y donc la terre et le ciel. Or, il n’est possible de passer de la terre au ciel qu’en faisant une offrande à Dieu, le Roi du ciel. Et si le Roi accepte l’offrande qu’on lui présente, alors il donne sa bénédiction et nous pouvons entrer dans le ciel pour être en communion avec lui.
 
C’est pour enseigner cela au peuple d’Israël – la séparation du ciel et de la terre, et l’offrande pour avoir accès au ciel – que Dieu a donné ordre à Moïse d’établir le Temple et le rituel du Temple.
Ainsi le Temple était séparé entre l’esplanade et le Temple lui-même, et encore dans le Temple, il y avait une séparation entre une première zone réservée aux lévites, et derrière un rideau, le Saint-des-Saints où se trouvait la Présence de Dieu, où seul le Grand Prêtre entrait une fois par an, pour la célébration du Grand Pardon. Il y avait donc une séparation entre la terre (l’esplanade) et le ciel (le Saint-des-Saints), avec une zone intermédiaire réservée à ceux qui étaient consacrés à Dieu.
Et le rituel du Temple était essentiellement un geste d’offrande. Nous voyons dans le livre de l’Exode le sacrifice et l’offrande des taureaux, pour que l’alliance des hommes avec Dieu soit agréée par Dieu. Pour indiquer que cette offrande était effectivement agréée, on aspergeait d’un côté l’autel et de l’autre le peuple lui-même. Cette aspersion était le signe de la bénédiction de Dieu, le signe de la communion avec lui.
 
La Lettre aux Hébreux nous explique que Jésus lui-même a accompli ce rite à notre bénéfice, mais à une tout autre dimension. Avec Jésus, nous sommes dans la réalité tout entière : pour que nous les hommes, et la création avec nous, à laquelle nous appartenons – c’est-à-dire la terre – nous puissions accéder au Ciel, au Règne de Dieu, à la nouvelle alliance, pour y être renouvelés, alors il faut un sacrifice spécial et une offrande particulière. Ce sacrifice, c’est celui de Jésus sur la croix, et l’offrande c’est celle qu’il fait de lui-même dans sa chair ressuscitée à l’Ascension, justement, quand il passe de la terre au Ciel. Le sang que Jésus présente à Dieu son Père, c’est son propre sang, et c’est aussi l’Esprit Saint, son Esprit. Or le signe que le Père a agréé l’offrande de Jésus, c’est qu’il répand le même sang, le même Esprit Saint, sur les disciples, à la Pentecôte. Et c’est pourquoi la Pentecôte est une nouvelle alliance, scellée dans le sang de Jésus. C’est la bénédiction de Dieu, la communion avec lui dans le monde nouveau. L’Église est la manifestation de ce monde nouveau.
 
On pourrait donc dire que Jésus a accompli le rituel du Temple, en grand. Mais ce n’est pas exactement ainsi qu’il faut voir les choses. Jésus n’a pas été obligé de se conformer à une Loi préétablie, puisqu’il est lui-même celui qui a énoncé cette Loi. Le rituel du Temple a été indiqué par Dieu à Moïse parce que c’est par la Croix de Jésus et l’offrande de lui-même, que l’humanité est sauvée. Le rituel du Temple est une anticipation, une préparation, au geste réel, total, définitif et unique accompli par Jésus. C’est important d’avoir vu cela pour comprendre maintenant ce que fait Jésus au Cénacle avec ses Apôtres, et nous après eux, lors de chaque messe.
 
Dans l’Évangile, Jésus commence par distinguer entre la terre et le Ciel. Il fait du Cénacle, le Ciel. C’est pour cela que saint Marc dit que la salle – la salle haute – doit être « aménagée » et « prête ». Aménagée, c’est-à-dire qu’elle est équipée de tapis, et de coussins. Prête, c’est-à-dire en araméen : être « rendue bonne », c’est-à-dire consacrée à Dieu. Le Cénacle n’est donc pas une simple salle de restaurant, c’est un lieu de culte, qui représente le Ciel. Cette préparation était nécessaire pour que Jésus puisse y présenter le sacrifice et l’offrande qu’il devait faire à son Père. Le sacrifice, c’est l’agneau pascal – et c’est son Corps, qui va être sacrifié à Pâques – et l’offrande, c’est le vin qui est aussi son Sang, qui sera remis à son Père, son Esprit, et qui sera bientôt répandu à la Pentecôte, vin nouveau auquel les Apôtres peuvent déjà communier dans la joie, lors de la sainte Cène.
 
Et maintenant nous avons compris, puisque Jésus a demandé que l’on fasse cela en mémoire de lui, qu’à chaque messe nous reproduisons le Temple et le rituel du sacrifice et de l’offrande. L’Église, comme le Temple ou le Cénacle, est un espace séparé qui représente le Ciel sur la terre, dans lequel il y a une seconde séparation entre la nef et le sanctuaire. Comme dans le Temple de Jérusalem, l’espace intermédiaire est bien celui des lévites de la nouvelle alliance, là où se trouvent les baptisés consacrés à Dieu. Et dans le sanctuaire, le ciel véritable, se trouve la Présence réelle du Seigneur, où seul l’évêque comme Grand Prêtre, ou le prêtre ordonné par lui, représentant Jésus, peut entrer pour faire l’offrande. À l’intérieur de ce Temple, justement, on offre le pain et le vin, Corps et Sang de Jésus, en mémoire de sa Pâque et de sa résurrection, pour communier à notre tour, aujourd’hui, par son Esprit, à l’alliance nouvelle, au Règne de Dieu. 
Sans jamais oublier ce qui donne tout son sens à l’ensemble : que le sacrifice de Jésus, qui est aussi le nôtre, n’est autre que celui du plus grand amour : donner sa vie pour ses amis.

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