Ac
1,1-11 ; Ps 46 ; Ep 1,17-23 ; Mt 28,16-20
Chers
frères et sœurs,
La
fête de l’Ascension de Jésus au ciel heurte nos esprits rationnels. Nous savons
en effet, depuis Newton et sa pomme, que tout objet est sujet de l’attraction
terrestre et – à moins d’être équipé de moteurs-fusées – ne peut s’élever par
lui-même dans le ciel. Mais lire l’évangile avec ces lunettes matérialistes
conduit immanquablement à ne rien y comprendre.
La
première chose à considérer est que le Jésus qui monte au ciel, c’est le Jésus
ressuscité qui n’est pas soumis aux lois de la physique ordinaire : il est
celui qui peut passer à travers des portes fermées tout en mangeant du poisson,
celui dans le côté duquel Thomas peut mettre sa main, celui qui peut apparaître
et disparaître à volonté après avoir partagé du pain. Or justement, l’Ascension
n’est autre que la dernière disparition de la dernière apparition corporelle de
Jésus à ses disciples, au bout de quarante jours. Cette dernière disparition
revêt un sens particulier.
En
effet, suivant la prophétie du Prophète Daniel, le Fils de l’Homme annoncé monte
au ciel, domine les puissances maléfiques et dépasse les ordres angéliques,
pour s’asseoir à la droite de Dieu, à la droite de son Père, pour régner avec
lui éternellement. L’Ascension est donc l’accomplissement de cette prophétie.
C’est la raison pour laquelle nous avons chanté le psaume 46 : « Dieu
s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. » Il s’agit
bien sûr de Jésus lui-même. C’est d’ailleurs ce que dit clairement saint Paul
aux Ephésiens : « Dieu l’a ressuscité d’entre les morts et il l’a
fait asseoir à sa droite dans les cieux. Il l’a établi au-dessus de tout être
céleste. »
C’est
ainsi que la dernière disparition corporelle de Jésus est en même temps son
élévation à la droite du Père : c’est l’Ascension. Cependant, si nous nous
arrêtons à cette première explication, nous ratons la moitié du film.
Il
faut bien comprendre que, lorsque Jésus monte vers le Père pour s’asseoir à sa
droite, c’est en même temps un geste d’offrande sacerdotal : il est le
véritable prêtre qui fait son offrande à Dieu, et cette offrande c’est
lui-même, avec son corps ressuscité, notre humanité sauvée de la mort. Or, vous
le savez, le principe d’une offrande – d’un cadeau gratuit – c’est qu’il peut
être bien reçu ou mal reçu… Qui vous dit que le Père est content du cadeau que
lui offre son Fils à son retour de voyage sur la terre ? Il y a donc une
grave incertitude : est-ce que l’offrande de Jésus est agréée, oui ou
non ?
La
preuve que cette offrande est agréée est le don de l’Esprit Saint, qui non
seulement couronne Jésus pour qu’il puisse prendre place sur son trône, mais qui
est aussi répandu sur les disciples et, à travers eux, sur le monde. Ce point
est absolument essentiel : il n’y a pas de Pentecôte s’il n’y a pas eu une
Ascension réussie avant ! Et la preuve que l’Ascension a été réussie,
c’est la Pentecôte. Entre les deux, c’est l’attente inquiète, le suspens :
« Est-ce que le Père va accepter l’offrande de son Fils ? » Nous
savons donc que la réponse est « oui », sinon nous ne serions pas là
ce matin.
Il
y a deux enseignement à tirer de cette Ascension de Jésus, avec le geste de
l’offrande de lui-même qui en constitue le sens réel.
Le
premier est que l’Église fondée sur les Apôtres est le fruit de cette offrande.
Sans la Pentecôte, sans l’Esprit-Saint, pas d’Apôtres et pas d’Église ;
pas d’évangélisation et pas de baptêmes pour le salut du monde. C’est pourquoi,
il y a un double mouvement : autant Jésus monte haut dans le ciel, autant
l’Église peut se répandre jusqu’au bout du monde. Autant l’offrande de Jésus
est puissante, autant l’évangélisation est forte. Mais toute cela dépend de la
grâce de Dieu, notre Père.
Et
le second enseignement, qui se déduit de ce que je viens de dire : c’est
que le geste de l’offrande que fait le prêtre à chaque messe « Par lui,
avec lui et en lui, à Toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du
Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles »,
appuyé par l’« Amen » solide de toute l’Église – ce geste est le même
geste d’offrande que fait Jésus dans son Ascension. Dieu notre Père
accepte-t-il l’offrande du Corps et du Sang de Jésus faite par le prêtre à ce
moment ? Justement, dans cette incertitude, l’Église, comme les Apôtres au
cénacle, prie alors le Père : « Donne-nous notre pain de ce jour » ;
elle lui demande sa Paix ; elle attend la « bienheureuse
espérance : l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur »,
c’est-à-dire son couronnement au ciel, c’est à dire l’agrément de l’offrande.
Et bientôt, après le chant de l’Agneau de Dieu, chant d’attente et d’espérance,
voici l’annonce : « Voici l’Agneau de Dieu » qui ouvre à la
communion. Or la communion est la Pentecôte : c’est la communication de la
Vie de Dieu à toute l’Église pour qu’elle puisse annoncer l’Évangile jusqu’au
bout du monde.