Ex
17,8-13 ; Ps 120 ; 2Tm 3,14-4,2 ; Lc 18,1-8
Chers
frères et sœurs,
En
écoutant l’évangile, nous comprenons que la persévérance dans la prière, si
elle arrive à surmonter les résistances d’un juge inique, bien plus
arrivera-t-elle à obtenir la justice de Dieu. Et cette justice nous paraît offerte
immédiatement, pourvu qu’on ait la foi. Or, cet enseignement nous met mal à
l’aise, car même dans nos prières les plus intenses nous ne voyons pas souvent
venir « bien vite » la justice de Dieu, ou bien nous concluons
que nous n’avons pas assez de foi. Et nous pouvons être découragés.
Mais
– comme dans tous les textes anciens – il y a des difficultés de traduction, et
notre évangile d’aujourd’hui n’y échappe pas. Il faut casser la coquille de la noix
pour en atteindre le bon fruit.
Pour
commencer, il faut situer le texte dans son environnement. Tout part d’une
question des pharisiens : « Quand viendra le règne de
Dieu ? ». Jésus leur répond que ce règne n’est pas observable et
qu’en réalité, il est déjà là, du fait de son incarnation dans le monde. Et aux
disciples il explique que bientôt ils désireront voir la réalisation de ce
royaume, mais ils ne le pourront pas : il leur faudra vivre le poids des
jours, sachant quand même que « comme l’éclair qui jaillit illumine
l’horizon d’un bout à l’autre, ainsi le Fils de l’homme, quand son jour sera là. »
L’attente sera longue, mais le règne de Dieu se révèlera soudainement. Et c’est
alors que Jésus raconte sa parabole.
On
comprend donc dans quel esprit il faut prier sans cesse, sans se décourager.
Les textes anciens disent même : « sans prendre la prière en
dégoût ». C’est une terrible tentation que d’être tellement découragé de
la prière qu’on en vient à la détester.
Mais
Jésus prend l’image d’une veuve, victime d’injustice qui demande réparation
auprès d’un juge. À l’époque de Jésus, la veuve, c’est Israël, mais pour les
premiers chrétiens c’est aussi l’Église, qui est veuve depuis que son Seigneur,
son époux, est monté aux cieux, et qui attend son retour.
Cette
veuve s’adresse au juge qui est dans la ville. Normalement, dans Jérusalem, le
vrai juge, c’est Dieu. Il y a ici maldonne : il s’agit donc un imposteur
qui a pris la place et se prend pour Dieu, puisqu’il « ne craignait pas
Dieu » et ne « respectait pas les hommes ». La
rébellion contre Dieu, quand elle s’accompagne d’une volonté de puissance, est un
danger pour l’humanité. Or c’est à ce personnage que la veuve adresse sa
prière, qui est faite d’actions – elle se manifeste régulièrement – et de paroles :
« Rends-moi justice ! » Or Jésus dit que pendant longtemps,
cette prière ne donna pas de fruits.
Pourtant,
à un moment, les choses se débloquent et la femme obtient satisfaction. Jésus
en déduira que si un imposteur arrive à faire justice à une veuve, combien plus
Dieu, le vrai juge de la Jérusalem céleste, fera-t-il justice à l’Église, son
épouse !
Mais
pourquoi les choses se sont-elles débloquées ? Pour comprendre, il faut
retourner au texte ancien de l’Évangile, qui est sous la traduction.
D’abord,
le juge se met à prendre conscience de la réalité : « Il se
dit en lui-même » – Luc emploie ici la même expression que pour
le fils prodigue quand il commence à se repentir de sa situation au milieu de
ses cochons. Ensuite, la veuve ne « commence pas à l’ennuyer »
mais elle le « tourmente intérieurement » : le juge a mauvaise
conscience ; et enfin il veut lui rendre justice « pour qu’elle ne
vienne plus sans cesse m’assommer », mais le texte dit
littéralement : « pour qu’éternellement elle ne me poche pas les
yeux ». On a compris cette expression comme si elle lui donnait des gnons,
mais il s’agit en réalité d’une expression familière qui signifie :
« qu’éternellement, elle ne m’empêche pas de dormir ! » –
sous-entendu « en paix ».
Ainsi,
notre juge inique est donc en réalité à la fin de sa vie, prenant conscience
qu’il va lui-même passer en jugement. Il est tourmenté intérieurement par son injustice.
Et pour éviter que la plainte de la veuve l’empêche de mourir en paix, voire le
conduise dans état de remord éternel, au moment de trépasser, il décide de
réparer et de lui donner satisfaction. Le juge inique finit par se révéler
comme un bon larron.
C’est
pourquoi Jésus a dit à ses disciples : « Écoutez bien ce que dit
ce juge dépourvu de justice ! » Il attire leur attention sur le
fait que les prières, même si elles semblent inefficaces pendant toute une vie,
au moment où la mort et le jugement des âmes viennent, elles peuvent
soudainement porter du fruit. Il n’est jamais vain, même face à des puissants
qui ont renié Dieu et qui méprisent l’humanité, de travailler leur conscience
par des actions et des paroles répétées.
Jésus
ne s’arrête pas là : il note que Dieu – lui qui est le véritable Juge,
juste et bon – entend les prières de ses enfants qui s’adressent à lui « nuit
et jour », sans relâche. Notre traduction nous dit : « Les
fait-il attendre ? », sous entendant qu’il satisfait les prières
immédiatement. Mais une autre traduction est plus probable : « Et ne
patiente-t-il pas avec eux ? » ou « parmi eux ? » Ici,
Dieu est aussi impatient que nous que nos prières s’accomplissent : il les
vit avec nous, parmi nous, comme nous. Et la dernière phrase, non pas « bien
vite, il leur fera justice », mais : « il leur fera
justice soudainement », comme un éclair. Nous retrouvons ici l’enseignement
précédent de Jésus.
« Nul
ne sait ni le jour ni l’heure », mais quand ils viendront, ce sera
comme l’éclair, comme la lumière de la Résurrection. C’est pourquoi Jésus
s’interroge : aurons-nous, nous les hommes, autant de patience que lui, autant
de foi pour prier avec lui, et lui parmi nous, jusqu’à ce que son heure
arrive ?