Ac
14, 21b-27, Ps 144, Ap 21,1-5a ; Jn 13, 31-33a.34-35
Chers
frères et sœurs,
L’évangile
que nous venons d’entendre se situe juste après le lavement des pieds et le
repas de la Cène, tandis que Jésus va être livré pour subir sa Passion. Et
pourtant nous sommes bien aujourd’hui le 5ème dimanche de
Pâques ! De fait, nous lisons ces dimanches un grand nombre d’enseignements
et de prières de Jésus avant sa Passion, tandis que tout en priant son Père, il
faisait part à ses disciples de ses dernières recommandations.
Mais
traditionnellement cet enseignement particulier – qui est consigné dans
l’évangile selon saint Jean – a toujours été regardé comme l’enseignement que
Jésus a donné à ses disciples lors de ses apparitions, pendant quarante jours,
avant son véritable départ vers le ciel, c’est-à-dire l’Ascension. Et c’est la
raison pour laquelle nous le lisons aussi durant le temps pascal. Rien
n’empêche que Jésus ait répété cet enseignement, que les disciples ne pouvaient
pas comprendre ni retenir avant la Passion, mais qui leur était plus
intensément actuel entre la résurrection et l’Ascension.
De
fait, quand nous lisons le texte, nous pouvons le lire selon ces deux points de
vue. Par exemple, quand Jésus dit qu’il a été « glorifié »,
tandis que Judas est parti le livrer aux autorités de Jérusalem, nous
comprenons que les « dés sont jetés » : maintenant tout est dit,
et la mort de Jésus est inéluctable. Mais cette glorification nous paraît un
peu mystérieuse. Justement, si nous pensons que Jésus a répété cet enseignement
après sa mort et sa résurrection, il est plus facile d’entendre qu’il a été
« glorifié ». Car Jésus et son Père sont glorifiés dans le
passage qui va de la mort à la vie, de la passion à la résurrection. Jésus
poursuit en disant : « Dieu aussi le glorifiera, et il le
glorifiera bientôt ». Jésus veut dire qu’il sera couronné par son Père
et que ce couronnement est proche. Mais justement, c’est ce qu’il va se passer
après l’Ascension, toute proche, quand Jésus va s’asseoir à la droite du Père.
D’ailleurs, le texte araméen dit avec insistance que Dieu le glorifiera « en
lui-même ». C’est donc bien dans la gloire de Dieu son Père que Jésus
est glorifié.
Cependant
Jésus n’est pas nombriliste et, même s’il a le regard intensément tourné vers
son Père, car il vient du Père et il retourne au Père, pour le glorifier et
être glorifié par lui, il pense aussi à ses disciples : « Je vous
donne un commandement nouveau. » C’est-à-dire que la prière de Jésus
n’est jamais séparée de son souci pour nous. La volonté du Père – que Jésus
accomplit – est que nous participions nous-même à sa gloire.
Le
commandement nouveau est de nous aimer les uns les autres, comme Jésus nous a
aimé. Soyons clairs : si Jésus a décrété un commandement – et non pas une
simple recommandation – c’est que l’enjeu est vital pour nous. Le commandement
est celui de la charité, de l’amour les uns pour les autres, « comme
Jésus nous a aimé », c’est-à-dire en donnant sa vie pour nous :
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »
Tel est l’amour dont parle Jésus.
Saint
Éphrem disait : « Comment donc expliquer ce que Jésus dit : “Comme
je vous ai aimés” ? Mourrons les uns pour les autres, dit-il. Quant à nous,
nous ne voulons même pas vivre les uns pour les autres. Si moi, dit-il, qui
suis votre Seigneur et Dieu, je meurs pour vous, combien plus devez-vous mourir
les uns pour les autres. »
Saint
Éphrem a fait une observation assez fine : comment mourir les uns pour les
autres, alors que nous ne voulons même pas vivre les uns pour les autres !
Tout le monde a bien compris que donner sa vie est au-delà de nos forces
humaines, si le Saint-Esprit n’est pas là pour nous y aider. C’est d’ailleurs
pour bénéficier lui-même de cette force que Jésus prie sans cesse son Père.
Nous aussi, si nous voulons vivre pour les autres et le cas échéant mourir pour
eux – par amour – il nous faut prier sans cesse et demander à Dieu sa force,
c’est-à-dire le Saint-Esprit.
Jésus
termine son intervention en disant : « A ceci tous reconnaîtront
que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
La traduction est difficile, mais on devrait plutôt dire quelque chose comme cela :
« A ceci tous sauront que vous êtes mes disciples, si l’amour est en vous,
les uns envers les autres. » L’amour ultime qui est celui du don de soi
n’est pas un objet que l’on peut posséder : nous « n’avons pas »
de l’amour les uns pour les autres. Mais la question est plutôt de savoir si
l’amour envers les autres « est en nous ». L’amour c’est le
Saint-Esprit lui-même. On ne le possède pas ; il n'est pas non plus
question de capacité : il peut y en avoir un peu ou beaucoup et chacun à
sa mesure : ce qui importe c’est que cet amour soit « en nous ».
Raison de plus pour prier le Père de nous le donner sans cesse et sans mesure. Finalement,
c’est à cet amour présent en nous – et à ce signe-là particulièrement – que les
gens « sauront » - on pourrait presque dire « vérifieront »
- que nous sommes vraiment les disciples de Jésus.
Voilà
donc chers frères et sœurs l’enjeu pour nous : acquérir l’Esprit Saint –
l’amour de Dieu en nous, pour nous aimer les uns les autres, afin de vivre
ensemble, mais aussi et surtout si le Seigneur le demande, afin de donner notre
vie les uns pour les autres. C’est ainsi que Dieu sera glorifié en nous et que
nous serons glorifiés en lui, comme Jésus, et que nous porterons l’Évangile
dans le monde.