Is 55,6-9 ; Ps 144 ; Ph 1,20c-24.27a ; Mt 20,1-16
Chers frères et sœurs,
Pour comprendre un évangile, il faut d’abord le replacer
dans son contexte. Ici, Jésus vient juste d’être interpellé par le jeune homme
riche. Vous connaissez l’histoire : alors que Jésus l’appelle à le suivre,
celui-ci renonce, parce qu’il a beaucoup de biens, et il s’en va. Aussitôt
Pierre interpelle Jésus : « Nous, nous avons tout laissé et nous t’avons
suivi, alors qu’y aura-t-il pour nous ? » Jésus lui répond en
deux temps. D’abord en lui expliquant que les Apôtres auront chacun un trône
pour juger les tribus d’Israël, qu’ils recevront au centuple ce qu’ils ont
laissé, et qu’ils hériteront de la vie éternelle. Puis il raconte la parabole
que nous avons entendue. Il s’agit d’expliquer pourquoi et comment ceux qui
sont appelés par Dieu au service de son peuple seront récompensés.
La première chose à saisir dans cette Parabole est qu’à
tous ceux qu’il appelle, le Maître – même s’il ne le dit pas – a déjà dans
l’idée de donner le même salaire, c’est-à-dire la vie éternelle. Le problème survient,
comme d’habitude, sur la durée du temps de travail et sur l’âge de la retraite.
Dans le texte que nous avons lu, nous avons donc les
premiers appelés, avec lesquels il a été établi un contrat « apostolat
contre vie éternelle ». Ensuite, le Maître appelle régulièrement d’autres
ouvriers, avec lesquels il n’y a pas de contrat mais une promesse :
« Je vous donnerai ce qui est juste ». Et à la fin, le Maître
appelle les derniers en leur disant d’aller vite travailler eux-aussi, sans
même leur parler de récompense.
Ainsi, plus on avance vers la dernière heure, plus la foi
de l’ouvrier dans son Maître doit être grande. On pourrait dire, à la fin, que ce
n’est pas la durée du temps de travail qui sert de mesure au Maitre, mais la
foi de l’ouvrier en lui. Et de fait, les derniers ont une plus grande foi que
les premiers, puisqu’ils ne sont pas protégés par un contrat de travail.
On peut aussi observer que les ouvriers de la troisième, la
sixième et la neuvième heure « étaient là, sur la place, sans rien
faire », et que les ouvriers de la onzième heure répondent au Maître –
qui leur demande pourquoi ils sont là eux aussi sans rien faire – :
« Parce que personne ne nous a embauchés. » Il y a chez ces
derniers un sentiment d’humiliation. Ils sont le fond du pot de
confiture : personne n’a voulu d’eux. Et pourtant, c’est eux que le Maître
va finalement récompenser. Comme le bon larron au Golgotha : ils sont les
derniers, sauvés à la dernière heure.
Par conséquent, les critères de récompense du Maître –
c’est-à-dire de notre Père – sont la foi en sa parole et l’innocence ou
l’humilité de ses serviteurs. Pour Pierre et les Apôtres, c’est donc une mise
en garde. Ils ne seront pas les seuls à être récompensés : il y aura aussi
et d’abord les humbles de cœur.
Cependant, pour être plus fidèle à l’enseignement de
Jésus, je vais expliquer aussi ce que l’on peut lire dans la version de l’évangile
dont on disposait à Lyon au temps de Saint Irénée. Dans cette version nous
lisons, alors que Jésus parle aux ouvriers de la troisième heure : « Allez,
vous aussi dans la vigne, et ce qui sera juste, je vous le donnerai ».
Mais, ils s’en allèrent. Mais, sortant de nouveau vers la sixième heure, et la
neuvième, il fit de même. » Etc. Et à la fin de la parabole Jésus dit :
« Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers les derniers,
car nombreux sont les appelés, mais peu nombreux les élus. »
Dans cette version, les premiers ouvriers passent un
contrat, les suivants refusent d’aller travailler à la vigne bien que le Maître
leur ait promis ce qui est juste, et les derniers acceptent d’y aller sans
promesse de rétribution. À la fin, au moment de la paye, on retrouve donc seulement
les premiers et les derniers. Les autres n’y sont pas puisqu’ils ont refusé d’aller
travailler. C’est pourquoi Jésus peut dire, à la fin, qu’il y a de nombreux appelés,
mais peu d’élus.
Cette ancienne version de la parabole est probablement la
version d’origine, car elle fait écho à l’échange entre le jeune homme riche et
Jésus, et à sa discussion avec Pierre à propos de la récompense de ceux qui ont
tout quitté pour le suivre. Les premiers ouvriers sont donc les Apôtres. Ceux
qui sont partis, les plus nombreux, sont comme le jeune homme riche. Et à la
fin, comme on a vu, on trouve les petits derniers, les humbles, qui reçoivent
la même vie éternelle que les Apôtres.
On pourrait souligner – même si c’est dur – que, tout en
leur donnant ce qui est promis, Jésus dit aux premiers ouvriers « va-t-en ! »,
en reprenant l’expression terrible qu’il avait employée pour chasser Satan au
désert. Et nous savons que Pierre en a déjà fait les frais. Certes les Apôtres
seront récompensés parce que les dons de Dieu sont sans repentance, mais les
plus belles places à la gauche et à la droite de Jésus, au ciel, sont
réservées aux plus petits que le Père a choisis.
Finalement, nous pouvons retenir que Jésus appelle
largement à marcher à sa suite, pour la vie éternelle. Chacun est libre et
dispose de la possibilité d’accepter ou de refuser, car la liberté est la
condition de la foi. Il est plus difficile de répondre "oui" quand on est davantage
préoccupé par les biens de ce monde. Mais qu’on soit bon ou mauvais élève, il y
a toujours un oral de rattrapage, jusqu’au dernier moment.
Ceux qui suivent Jésus, et à qui il a promis la vie éternelle,
elle ne leur sera pas retirée ; mais ceux qui auront fait preuve d’une
grande foi et d’une grande humilité trouveront auprès de lui une plus belle
place : « Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux
est à eux. »