1Co
15,51-54.57 ; Ps 22 ; Mt 5,1-12a
Chère
Bernadette, Chers frères et sœurs, chers amis,
L’Évangile des Béatitudes est celui que nous
proclamons pour la fête de la Toussaint, la fête de tous les saints. Et ceci à
raison, car, par cet enseignement, Jésus nous apprend au moins trois choses.
La première est qu’à travers les Béatitudes, Jésus
nous révèle son vrai visage, qui est aussi celui de son Père : le visage
de Dieu. Dieu est pauvre de cœur, c’est-à-dire innocent ; il pleure sur
les péchés et les souffrances des hommes ; il est doux ; il a faim et
soif de justice, c’est-à-dire de vérité. Mais il fait aussi miséricorde. Dieu a
le cœur pur ; il est artisan de paix, et pourtant il est persécuté pour la
justice, c’est-à-dire pour l’amour qui rend juste. Il est aussi bien sûr celui
qui a été insulté et persécuté, jusqu’à en mourir sur une croix, avant de
ressusciter. Ainsi, par les Béatitudes, Jésus dévoile qui il est vraiment, et
qui est aussi Dieu notre Père.
Mais, puisque les Béatitudes évoquent
successivement différentes catégories de personnes, à qui sont promis le
Royaume des Cieux, la consolation, la vision de Dieu, l’adoption comme fils de
Dieu, il faut aussi comprendre – et c’est le deuxième enseignement – que nous
les hommes, nous sommes tous concernés par ces Béatitudes et par leurs
promesses. Car nous sommes appelés à vivre chacun une ou plusieurs
d’entre-elles. Ainsi, par exemple, il y a au moins une béatitude qui correspond
plus particulièrement à Pierre, à sa personnalité, à son âme.
Et c’est ainsi que – troisième enseignement –
un saint ou une sainte sont des personnes qui partagent avec Jésus une ou
plusieurs béatitudes, avec une plus grande intensité de ressemblance. Elles marquent
une communion avec lui. Si donc nous pensons que Pierre est un cœur pur, alors il
partage avec Jésus ce trait de personnalité et, comme lui, il est appelé à avoir
la vision de Dieu. Et c’est là son caractère de sainteté. Par les Béatitudes,
nous savons – comme dirait un chanteur célèbre – que « nous avons tous en
nous, quelque chose de Jésus-Christ ».
Justement, il ne faut pas avoir longtemps
fréquenté Pierre pour s’être rapidement rendu compte qu’il était un homme heureux.
On garde facilement de lui l’image d’un homme au visage souriant – sérieux,
peut-être pas toujours facile, mais souriant. Et sa famille a voulu souligner « la
joie de vivre qui le caractérisait ». Quel était donc le secret de cette
joie, qui irriguait sa vie ?
Quelques aspects évidents de sa vie quotidienne nous
apportent une réponse : d’abord Pierre était fidèle au Bon Dieu, et c’est
avec joie qu’il participait chaque dimanche et fête à la messe, tantôt comme sacristain,
tantôt dans la chorale, tantôt – avec un brin de fierté – comme lecteur, comme dimanche
dernier, à Dampierre. Pierre était aussi fidèle à Bernadette, bien sûr, et il
est facile de retrouver sur Internet la magnifique photo de leurs noces d’or,
parue dans l’Est Républicain en avril
2014. Il était aussi fidèle à sa grande famille, dont il était si fier, et fidèle
aux camarades d’Afrique du Nord, comme à tant d’autres amis. Il était enfin fidèle
à la formation professionnelle riche et exigeante qu’il avait reçue, qui lui a
permis de développer ses talents. Elle a fait de lui un travailleur avisé,
dévoué et infatigable. Un homme de confiance. Au fond, c’était tout simple :
toutes ces fidélités n’étaient-elles pas le secret de sa joie ?
En fait, il y a peut-être quelque chose de
plus, et je terminerai par un témoignage plus personnel. Lorsqu’il a été
question que je vienne m’installer à Notre-Dame de Leffond, Pierre m’a
naturellement fait visiter les lieux, en commençant par la chapelle. Là, il m’a
expliqué qu’à chaque fois qu’il venait, il sonnait la cloche, et joignant le
geste à la parole, il tirait de bon cœur sur la tringle. Il sonnait pour
Bernadette, pour sa famille, pour les habitants de Charcenne, et pour la
paroisse. Et c’était avec une joie d’enfant. Là s’exprimait tout son bonheur,
le bonheur des cœurs purs, en même temps que sa prière, une prière d’action de
grâce. Là était donc la véritable source de toutes ses fidélités. Il était dans
son lieu. Comme pour beaucoup d’autres amis de Notre-Dame de Leffond, la
chapelle était son ciel sur la terre. Et il y était comme un enfant. Cela m’a
beaucoup frappé.
Pierre aurait bien voulu que je le tutoie, que
je l’appelle « Pierrot » comme ses amis, mais j’avais pour lui un
trop grand respect. C’était impossible, il était en même temps le serviteur de
Notre-Dame depuis tant d’années, et mon ange gardien à Charcenne. Pour cette
raison et parce que c’était sa joie, je n’ai jamais osé sonner la cloche. Sauf
une fois, un soir, pour Notre-Dame de Paris.
Désormais, à chaque fois que je viendrai, et à
chaque office quand je résiderai, je sonnerai la cloche en priant pour vous
Pierre, et pour Bernadette, et pour la famille, pour les habitants de
Charcenne, et pour la paroisse. Notre-Dame se réjouira. Et du haut du ciel, avec
elle et avec tous les anciens qui sont avec vous, vous intercéderez avec Jésus auprès
du Père : pour qu’il nous envoie les grâces dont nous avons tous besoin
pour être fidèles en tout, chaque jour, à notre tour, avant de nous retrouver tous
ensemble et pour l’éternité, avec le Bon Dieu, dans la joie de tous les saints.