dimanche 28 septembre 2025

27-28 septembre 2025 - MONTAGNEY - CHAMPLITTE - 26ème dimanche TO - Année C

Am 6,1a.4-7 ; Ps 145 ; 1Tm 6,11-16 ; Lc 16, 19-31
 
Chers frères et sœurs,
 
Une parabole est comme une noix. Si on en reste à l’extérieur, on se casse les dents sur sa dureté et on manque la douceur nourrissante qui est à l’intérieur. En rester à l’extérieur, c’est juger sans appel que les méchants riches égoïstes sont destinés à l’enfer éternel, tandis que les gentils pauvres sont élevés par les anges au Paradis. Certains discutent pour savoir si le sein d’Abraham se situe encore au royaume des morts dans l’attente du Jugement dernier, ou bien s’il s’agit déjà du Paradis. Mais dans les deux cas, il n’y a aucune solution pour le riche, qui est définitivement condamné. On peut s’interroger ici : est-ce que le Verbe de Dieu, Jésus, s’est fait chair, est mort sur une croix et ressuscité, pour seulement rappeler aux hommes un enseignement déjà bien connu depuis le temps de la Loi et des prophètes (ce qu’il rappelle d’ailleurs dans sa parabole), à savoir, comme le dit fort bien le Seigneur par la bouche de son prophète Amos, que « la bande des vautrés n’existera plus ! » ? On peut aussi se demander si cette parabole se trouve bien dans l’évangile selon saint Luc, qu’on appelle aussi souvent l’« évangile de la miséricorde ». Ici, il n’y en a pas beaucoup pour le riche… n’est-ce pas ? Et pourtant, cette parabole ne se trouve que dans saint Luc ! Alors ?
 
Il faut casser la noix pour y trouver le bon fruit. Posons-nous la question : qui est l’homme riche ? Et qui est Lazare ? L’homme riche est « vêtu de pourpre et de lin fin » ; il « faisait chaque jour des festins somptueux ». Il n’y a aucun doute que c’est un Grand prêtre du Temple, qui vit grassement des offrandes qu’on y fait. Il est logique, dans la parabole, que cet homme et ses frères sadducéens, n’écoutent pas Moïse et les prophètes : les sadducéens ne reconnaissent que Moïse, c’est-à-dire la Torah. Mais ils ne reconnaissent pas les prophètes. Or Jésus insiste sur les deux. Les sadducéens ne croient pas non plus à la résurrection. Jésus le dit : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne croiront pas ! » Dans sa parabole, Jésus vise donc particulièrement le Grand prêtre, les saducéens – et non pas un « homme riche » en particulier.
Maintenant, qui est Lazare ? Observons tout d’abord que dans tout le Nouveau Testament, hormis dans notre parabole, la seule fois qu’il est question d’un Lazare, c’est dans l’évangile de Jean : il s’agit de Lazare de Béthanie, qui était malade, qui est mort, que Jésus a ressuscité, et que les saducéens, justement, voulaient tuer, avec Jésus, parce qu’ils étaient devenus trop gênants. On se souviendra que Lazare avait deux sœurs, Marthe et Marie, et que Marie, grande pécheresse, avait versé du parfum sur les pieds de Jésus, annonçant les soins que son corps recevrait lors de sa mise au tombeau. Dans la parabole, Lazare est méprisé comme Jésus sera méprisé en sa passion. Ses ulcères sont des plaies brûlantes ; la souffrance qu’elles provoquent n’est apaisée que par le léchage des chiens. Comprenez ici l’allusion terrifiante de Jésus… C’est bien ainsi que Marie de Béthanie était considérée par les sadducéens et les pharisiens : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » À sa mort, Lazare est porté par les anges non pas « auprès » d’Abraham, mais « dans son sein », c’est-à-dire qu’en position couchée pour un repas, il est placé à sa droite. Jésus est élevé à la droite du Père. Là, il y a de l’eau – cette eau rafraîchissante dont voudrait bien bénéficier l’homme riche en enfer – eau qui n’est autre que celle de l’Esprit Saint.
 
Donc, sous la figure du Lazare de la parabole, Jésus parle de lui-même. Il apparaît absolument rejeté par le Grand prêtre, tandis que les pécheurs prennent soin de lui. Lorsque la mort fait son œuvre, la situation s’inverse comme dans un miroir. Tout d’abord le Grand prêtre est en proie à la torture de la fournaise. Ce feu est celui du Buisson ardent dans l’Exode et celui de l’amour dans le Cantique des cantiques. Il provoque le regret : l’homme est brûlé par la culpabilité, le remord. C’est pourquoi il demande à Abraham que Lazare accomplisse la seule chose qui puisse le sauver : le geste du pardon. Car tremper « le doigt dans l’eau pour lui rafraîchir la langue » est un geste rituel de prêtre. On s’aperçoit alors que dans la parabole, le véritable Grand prêtre qui peut pardonner les péchés, donner l’eau de la vie éternelle, n’est pas l’homme riche mais le pauvre Lazare, Jésus lui-même. Si le Grand prêtre avait réellement mis en pratique la Loi de Moïse et le rituel du pardon, que lui-même célébrait au Temple, il aurait donné une part de l’offrande au pauvre Lazare, pour qu’il vive sur terre. Mais, en refusant ce geste, par hypocrisie, orgueil, avarice ou paresse, le Grand prêtre s’est condamné lui-même. N'ayant pas fait miséricorde sur terre, il s’en est privé au ciel. Nous retrouvons ici en miroir la prière que Jésus nous a enseignée : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Au puits de Jacob, la Samaritaine pécheresse a donné un peu d’eau à Jésus assoiffé ; en récompense le Seigneur lui a promis qu’elle recevrait l’eau vive, en abondance.
 
Il est quand même incroyable que l’homme qui, sur terre, était chargé d’accomplir le saint rituel du Pardon pour le peuple, pour qu’il vive, ne le pratiquait pas personnellement dans sa vie courante, au risque d’abandonner son prochain à la mort... Voilà ce que reprochait Jésus au Grand prêtre, aux sadducéens. Ils en sont  d’autant plus sévèrement condamnés, par eux-mêmes ! En revanche, dit la parabole, tout homme qui pose un petit geste de vie ici-bas, par son aumône, par son pardon, par sa bonté, par son humilité, s’inscrit dans la figure de Lazare, ou dans le corps de Jésus, pour y accomplir en son nom le véritable pardon, celui qui donne à l’homme – fût-il un grand pécheur ici-bas – la vie éternelle. Dieu ne veut pas que l’homme meure, mais qu’il vive. À tous, il veut faire miséricorde.

dimanche 14 septembre 2025

14 septembre 2025 - GRAY - La Croix glorieuse - Année C

 Nb 21, 4b-9 ; Ps 77 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
 
Chers frères et sœurs,
 
Nicodème, comme le dit saint Jean au début de son récit, est un pharisien et un notable parmi les Juifs. Il est membre du Sanhédrin, qui est en même temps une sorte d’Assemblée nationale et de Conseil constitutionnel des Judéens. Là, il défendra courageusement le droit de Jésus à se défendre à son procès. Il est aussi une des trois plus grosses fortunes de Jérusalem. C’est lui qui finance le mélange de 45 kilos de myrrhe et d’aloès pour la mise au tombeau de Jésus ; des funérailles de roi. Donc la rencontre entre Jésus et Nicodème est de la plus haute importance, et on aurait tort de penser que leur échange concerne des banalités. Ils vont à l’essentiel : ce qu’il en est de Dieu et du salut de l’homme.
Nicodème cherche à comprendre le message de Jésus, dont il sait déjà qu’il est prophète. Jésus lui répond que pour voir le royaume de Dieu – c’est-à-dire y entrer, y participer –, il faut naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit. Nicodème demande alors comment naître du souffle de l’Esprit ? On entend la même question dans la bouche de la Bienheureuse Vierge Marie quand l’ange Gabriel lui annonce qu’elle va concevoir et enfanter un fils : « Comment cela peut-il se faire ? » Jésus reproche alors à Nicodème – qui est un maître en Israël – de ne pas connaître « ces choses-là », et il lui répond qu’il est nécessaire de croire en sa parole. Parce que lui, Jésus – qui est descendu du Ciel – parle de ce qu’il connaît et il témoigne de ce qu’il a vu – c’est-à-dire de la réalité du Royaume des cieux. Donc Jésus dit que, pour naître du souffle de l’Esprit et voir le Royaume, il faut d’abord croire en lui, en son enseignement et en son témoignage, c’est-à-dire toute sa vie, c’est-à-dire l’Évangile.
 
À ce moment, nous retrouvons le passage que nous avons entendu aujourd’hui, dont nous ne savons pas très bien, en réalité, si les paroles sont prononcées par Jésus à l’attention de Nicodème, où s’il s’agit d’un commentaire de saint Jean à l’attention de ses lecteurs. Mais l’argument central est le même : la foi en Jésus mort sur la croix pour le salut des hommes, et ressuscité, est la clé du don de Dieu : du souffle de l’Esprit, de la vie éternelle. Saint Jean donne un premier argument, tiré du livre des Nombres, que nous avons entendu en première lecture : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert – pour sauver le peuple mordu par les serpents, c’est-à-dire les démons ou les péchés – ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. » Dieu, donc, sauve les hommes pécheurs et leur accorde la vie par la croix de Jésus.
Mais ce faisant, Dieu a sacrifié son fils, son unique – dit l’évangile. Deuxième argument. La référence au sacrifice d’Isaac, dans le livre de la Genèse, est évidente : « Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Nous savons qu’Isaac sera sauvé par l’ange du Seigneur au moment ultime, et qu’il sera remplacé par un bélier. Par la suite, le sacrifice au Temple pour le pardon des péchés était celui d’un agneau, l’agneau pascal, en substitution du sacrifice des premiers-nés en Égypte. Mais avec Jésus, la situation est inversée : c’est Dieu lui-même qui autorise le sacrifice de son fils, son unique, un premier-né, comme véritable Agneau pascal, une fois pour toutes et pour un pardon véritable de tous les hommes – pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle et que par lui le monde soit sauvé.
 
Nicodème, et nous-mêmes avec lui, qui sommes versés dans les Écritures et la foi d’Israël, sommes placés au cœur de la mission de Jésus : donner sa vie pour la multitude, pour que tout homme qui a foi en lui – y compris ceux qui dorment au fond des enfers, comme dit saint Paul – puisse recevoir le don de Dieu, la vie éternelle, et voir le Royaume des cieux. La croix est donc comme une porte entre le monde présent et le royaume des cieux. Vu d’en bas, d’un point de vue matérialiste, c’est un instrument de supplice, un obstacle. Mais vu d’en haut, avec la foi, c’est un passage, le passage : la porte étroite – la seule porte – qui conduit à la vraie liberté et à la vraie vie. Il n’y en a pas d’autres. Et c’est Jésus qui l’a ouverte pour nous. C’est pourquoi, pour un chrétien, la croix est une croix glorieuse. Parce que, par elle, la lumière du ciel illumine les ténèbres de toute la terre et même des enfers.
Il reste un dernier point important pour finir. La traduction est ambiguë : on a l’impression qu’il y a pour l’homme un délai entre sa confession de foi en Jésus et l’obtention de la vie éternelle. Dans l’araméen ou l’hébreu, le verbe avoir n’existe pas. Cela signifie que pour l’homme qui croit en Jésus, la vie éternelle est à lui. C’est immédiat, il n’y a pas de délai. L’homme qui a foi en Jésus mort et ressuscité vit déjà maintenant du Don de Dieu, de la vie éternelle, et il voit le Royaume des cieux. Cela paraît étonnant ? Mais non, il faut comprendre que la réalité du Royaume n’est pas contrainte par notre espace-temps. On peut distinguer dans le temps des étapes : le sacrifice d’Isaac, le serpent de bronze, la Pâque en Égypte, les sacrifices du Temple, la crucifixion de Jésus, mon baptême, ma mort, avant mon entrée dans la vie éternelle, avec la grâce de Dieu ! Mais dans la réalité du Royaume éternel, c’est un seul instant, un flash, où par la foi en Jésus qui s’est donné pour nous, enfin libérés du péché et de la mort, nous entrons à jamais dans la communion d’amour de Dieu, avec tous les saints. Comprenez, frères et Sœurs : par la foi en Jésus mort pour nous et ressuscité, la vie éternelle nous est donnée, maintenant. Tel est le sens de la fête de la croix glorieuse.

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