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S 26, 2.7-9.12-13.22-23 ; Ps 102 ; 1 Co 15, 45-49 ; Lc 6, 27-38
Chers
frères et sœurs,
Nous
sommes toujours parmi les disciples de Jésus et nous écoutons l’enseignement
qu’il leur donne, qu’il nous donne. Cet enseignement est très construit, très
ordonné. Ainsi, dimanche dernier nous avons eu 4 béatitudes suivies de 4
lamentations. De même, aujourd’hui nous avons dans un premier temps, 4
commandements suivis de 4 recommandations pratiques. Nous avions compris que la
joie promise aux disciples était celle de l’Esprit Saint, l’Esprit de
Pentecôte. Il nous faut en tenir compte pour comprendre les commandements et
les recommandations de Jésus aujourd’hui.
« Je
vous le dis, à vous qui m’écoutez », dit Jésus, c’est-à-dire à ceux
qui « écoutent sa Parole et la mettent en pratique », puisqu’elle est
la Loi nouvelle, ou plus exactement le cœur caché de la Loi de Moïse, que Jésus
accomplit.
C’est
si vrai que, pour la suite de son enseignement, Jésus s’appuie d’abord sur un
précepte tiré du Livre de Tobie : « Ne fais à personne ce que tu
détestes », qu’il transforme en « Ce que vous voulez que les
autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux » ; puis sur un
précepte du livre du Lévitique : « Soyez saints, car moi, le
Seigneur votre Dieu, je suis saint », qu’il transforme en « Soyez
miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Plutôt que
« transformer », il serait mieux de dire « révèle »,
« dévoile », ou même « transfigure ». En effet, on voit
bien que dans son enseignement Jésus va plus loin, plus profond, ou plus haut
que le précepte tiré des Écritures. Nous ne devons pas oublier qu’il s’adresse
ici, non pas au commun des mortels, mais à ceux qui sont ou seront bientôt remplis
de l’Esprit Saint, et qui sont ou seront donc bientôt rendus capables de
l’amour de Dieu lui-même.
La
grande différence porte justement sur l’amour des ennemis – ce qui nous paraît
humainement impossible. Cependant, nous savons que Dieu a créé l’homme par
amour et lui a donné son esprit de vie ; puis, bien que pécheur, en Jésus,
Dieu l’a ensuite sauvé par amour et, avec la résurrection, lui a donné son
Esprit Saint, la grâce du pardon et la vie éternelle. C’est notre Credo.
L’acte d’amour de Dieu est inséparable de son acte créateur. De même, le pardon
et le don d’une vie nouvelle sont inséparablement des actes créateurs et des
actes d’amour. Jésus nous dit donc que
tout disciple de l’Évangile doit regarder chaque homme – même son ennemi – avec
les yeux de Dieu, avec un regard d’amour et de création nouvelle, toujours
possible pour lui, pourvu qu’il l’accepte.
Certes,
je peux humainement ne pas aimer tel homme que je vois de mes yeux de chair,
car il est limité, pécheur et mortel, peut-être même objectivement mauvais.
Mais si j’adopte le regard de Dieu, alors je le vois comme ayant été créé par
amour depuis le commencement et appelé aujourd’hui et demain, comme tout homme
et comme moi-même, à un pardon pour ses fautes et à une vie nouvelle dans un
amour éternellement fidèle. Dieu a les yeux du père du fils prodigue. Et
l’homme a les yeux du frère aîné. L’Esprit Saint, l’Esprit de Jésus, seul peut
nous faire passer du regard du frère à celui du père ; de celui de l’homme
à celui de Dieu.
Nous
mesurons ici la différence abyssale qu’il y a entre un homme normal – si je
puis dire – et un saint. Entre un regard humain limité à un horizon terrestre –
c’est-à-dire à un jugement temporel, qu’on est tenté d’appliquer soi-même de
peur qu’il ne soit jamais rendu ; et un regard divin, qui voit au-delà de
la mort la vie nouvelle des pécheurs pardonnés et ressuscités, appelés à la
communion dans l’amour. L’homme normal veut juger dès que possible ; le
saint offre et confie le jugement à Dieu. Plus encore, comme le saint sait
qu’il est lui-même pécheur et qu’il espère pour lui-même la miséricorde de
Dieu, alors, comme le gérant malhonnête dont Jésus fait l’éloge, il fait
miséricorde à son frère, obligeant ainsi Dieu à lui faire à son tour
miséricorde, selon la parole de Jésus : « ne jugez pas et vous ne
serez pas jugés », car « la mesure dont vous vous servez pour
les autres, servira de mesure aussi pour vous ». On a le droit de
prendre Jésus au mot, surtout quand il est aussi affirmatif !
Je
voudrais terminer sur un verset curieux du psaume : « comme la
tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! »
Nous avons bien compris que Dieu n’est qu’amour pour ses enfants. Mais comment
peut-on être invités à « craindre » un Père qui n’est
qu’amour ? Il faut bien comprendre que la « crainte de Dieu »,
dans les Écritures, est une expression qui ne signifie pas la « peur de
Dieu », mais qui signifie quelque chose comme « le service de
Dieu dans l’amour », « le culte de Dieu, de tout son cœur ».
Celui qui « craint Dieu », c’est celui qui aime Dieu, concrètement,
par la prière, l’obéissance à sa Parole, la liturgie, l’offrande de soi, et qui
aime son frère, concrètement, par le pardon, le service, la charité sous de
multiples formes. En somme, celui qui « craint Dieu », c’est celui
qui vit selon l’Esprit de Dieu : c’est un saint. Ainsi, nous comprenons
que Dieu appelle « ses fils » ceux qui le craignent, parce qu’il
reconnaît et aime en eux l’Esprit Saint qui les transfigure en son fils
bien-aimé Jésus-Christ, notre Seigneur. Ainsi, la plus belle, la plus
remarquable, la plus grande figure humaine qui « craint Dieu », c’est
la Bienheureuse Vierge Marie !