vendredi 29 mars 2024

28 mars 2024 - ARC-lès-GRAY - Jeudi Saint - Messe en mémoire de la Cène du Seigneur - Année B

Ex 12, 1-8.11-14 ; Ps 115 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
 
Chers frères et sœurs,
 
La lecture convenue des événements du Jeudi Saint en fait le mémorial du repas de Pâques célébré par Jésus avec ses Apôtres, au cours duquel, s’abaissant au rang d’esclave, il leur a lavé les pieds en signe d’humilité. Ainsi, l’eucharistie serait un repas faisant mémoire avant tout du service mutuel dans un esprit de fraternité. Soyons clairs : c’est un peu court.
 
Lorsqu’on analyse les témoignages des Apôtres concernant la sainte Cène, d’un point de vue purement historique, on se heurte à deux difficultés. La première regarde la date et la seconde le rituel.
En effet, selon Marc, Matthieu et Luc, Jésus semble célébrer la Pâque avec trois jours d’avance, ce qui est impossible puisqu’on ne peut célébrer la Pâque qu’avec un agneau pascal, qui sera sacrifié au moment même où Jésus sera crucifié – ce que précise saint Jean. Ainsi, pour mieux nous faire comprendre que la sainte Cène était l’annonce du sacrifice de Jésus à Pâques, Marc, Matthieu et Luc en auraient fait un repas pascal. Quant à saint Jean il insiste plus sur le fait que la mort de Jésus correspond exactement au sacrifice de l’agneau pascal, selon ce que Jésus avait annoncé lors de la Cène.
En réalité, Jésus a effectué le rite de l’offrande qui doit accompagner tout sacrifice dans le Temple, selon le livre des Nombres :
« Le Seigneur parla à Moïse. Il dit : « Parle aux fils d’Israël. Tu leur diras : Quand vous entrerez dans le pays où vous habiterez, le pays que je vous donne, et que vous présenterez au Seigneur la nourriture offerte, holocauste ou sacrifice, pour accomplir un vœu ou pour rendre grâce, ou bien à l’occasion de vos fêtes, donc lorsque vous présenterez du gros ou du petit bétail en agréable odeur pour le Seigneur, alors celui qui apporte au Seigneur son présent réservé apportera une offrande d’un dixième de fleur de farine pétrie avec un quart de mesure d’huile et aussi un quart de mesure de vin pour la libation : tu l’ajouteras à l’holocauste ou au sacrifice, pour chaque agneau. » (Nb 15,4-5)
 
Il s’agit du rite de l’« offrande pure » qui préfigurait toutes les eucharisties, dont le Seigneur a parlé par la bouche du prophète Malachie :
« Car du levant au couchant du soleil, mon nom est grand parmi les nations. En tout lieu, on brûle de l’encens pour mon nom et on présente une offrande pure, car mon nom est grand parmi les nations, – dit le Seigneur de l’univers. » (Ml 1,11)
 
Ainsi, cette « offrande pure » de pain et de vin, doit accompagner tout sacrifice, en particulier celui de Jésus lui-même, véritable agneau pascal, sacrifié lors de la Pâque, à tel point que par sa parole, « Ceci est mon Corps, Ceci est mon Sang », Jésus a identifié les deux : l’offrande pure et son propre sacrifice.
Cette particularité explique que ce rituel de pain et de vin a pu être très facilement détaché d’un simple repas. Et heureusement. Car très tôt – nous le savons par l’affrontement qu’il y a eu à ce sujet entre Pierre et Paul à Antioche – les chrétiens d’origine juive et ceux d’origine païenne ne pouvaient pas prendre leurs repas ensemble. Car les chrétiens d’origine juive suivaient toujours les prescriptions de la Loi de Moïse. Ainsi, très rapidement, la célébration eucharistique a été séparée des repas : elle avait lieu à l’aube, au soleil levant, après une nuit de prière, de lecture des Écritures, de partage de l’Évangile et d’enseignement des Apôtres. Ensuite chacun pouvait manger à sa guise.
 
Nous venons d’apprendre ici quelque chose d’essentiel concernant la sainte Cène, ou la première eucharistie. C’est que si Jésus l’a bien liée directement à son propre sacrifice au jour de Pâques, il n’en reste pas moins qu’à cette occasion, il a transformé le cénacle en Temple, puisque le rituel de « l’offrande pure » dont nous avons parlé se fait bien évidemment dans le Temple, à l’occasion de tout sacrifice sanglant. Ceci explique pourquoi il faut laver les pieds des Apôtres.
Alors que par ailleurs, face à des pharisiens qui s’indignaient que les Apôtres ne se lavaient pas les mains avant les repas, Jésus avait botté en touche en les traitant d’hypocrites, ici il veut absolument laver les pieds de ses Apôtres. De fait, pour pouvoir accéder au Temple lors des fêtes de Pâques, comme tout Juif, Jésus et ses Apôtres avaient suivi les prescriptions de la Loi : ils avaient pris un bain de purification : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. » a bien précisé Jésus. Mais il restait évidemment les pieds. C’est ainsi qu’on devait dénouer la courroie des sandales du Grand prêtre et lui laver les pieds pour qu’il puisse entrer dans le sanctuaire afin d’y présenter au Seigneur les offrandes et les sacrifices, selon ce qui a été prescrit à Moïse :
« Pour les ablutions, tu feras une cuve en bronze sur un support en bronze. Tu placeras la cuve entre la tente de la Rencontre et l’autel, et tu y verseras de l’eau. Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds. Quand ils entreront dans la tente de la Rencontre, ils se laveront avec l’eau, et ainsi ils ne mourront pas ; quand ils s’approcheront de l’autel pour officier, faire fumer une nourriture offerte pour le Seigneur, ils se laveront les mains et les pieds, et ainsi ils ne mourront pas. C’est là un décret perpétuel pour Aaron et sa descendance, de génération en génération. » (Ex 30,17-21)
 
Maintenant tout est clair. En voulant effectuer le rituel de l’offrande pure de pain et de vin conjoint et assimilé au sacrifice prochain de son Corps et de son Sang comme Agneau pascal, Jésus a transformé le Cénacle en Temple de Jérusalem. En lavant les pieds des Apôtres, il les a assimilés à Aaron et à des Grands prêtres consacrés pour offrir l’offrande et le sacrifice. C’est-à-dire comme dit Jésus à Pierre : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi » - tu n’auras pas part à mon sacerdoce. Pierre ne pouvait pas comprendre cela sur le moment. Il en est resté à la vision très sécularisée d’un Jésus s’abaissant à lui laver les pieds comme un simple esclave.
 
Justement, et c’est le dernier enseignement donné par Jésus à ses disciples. En se faisant lui-même serviteur ou lévite, Jésus montre que le véritable Grand prêtre, qui est aussi lui-même le véritable Agneau pascal, est aussi inséparablement celui qui donne sa vie par amour pour ses amis : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » On retrouve cette comparaison dans d’autres paroles de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » ou les enseignements de Paul : « Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. » Ce n’est pas pour rien que saint Jean a placé le récit de la Cène et du lavement des pieds sous le signe de l’amour donné : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. »
Offrir l’offrande et le sacrifice, être soi-même l’Agneau pascal sacrifié pour le pardon des péchés, donner sa vie par amour et pardonner – pour Jésus, c’est la même chose. À cela il a voulu donner part à ses Apôtres : c’est la part des prêtres.
 
Maintenant chers frères et sœurs, écoutez bien. Normalement le lavement des pieds est un rituel pratiqué par l’évêque seul à l’égard de ses prêtres – et c’est cohérent avec ce que je viens d’expliquer, parce que l’évêque représente Jésus pour l’Église qui lui est confiée. Mais je vais aussi le faire maintenant à l’égard de simples baptisés.
Qu’ils se souviennent ainsi – et nous tous avez eux – que nous avons été baptisés et consacrés prêtres, prophètes et rois, pour offrir, en union avec le Christ et dans la force de l’Esprit toute notre vie à Dieu notre Père, selon la parole que le prêtre dit au début de la prière eucharistique : « Priez frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. »
Ainsi chers frères et sœurs, avec Jésus, par lui et en lui, entrons dans sa Pâque.
 
 

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