Si
27,30-28,7 ; Ps 102 ; Rm 14,7-9 ; Mt 18,21-35
Chers
frères et sœurs,
Dimanche
dernier, nous avons entendu Jésus nous expliquer comment régler nos litiges en
véritables enfants de Dieu : d’abord par un entretien à l’amiable ;
puis, si cela n’a pas marché, derechef avec deux ou trois témoins ; et, en
dernier recours, par le jugement de la communauté. Au-delà, si le litige
continue, on ne peut plus être considérés comme des frères et sœurs.
Il
était important de voir, dans cet enseignement, que Dieu a fait exactement de
même avec nous qui étions pécheurs envers lui. Il a d’abord appelé individuellement
Abraham et les autres patriarches, puis il a envoyé Moïse et les prophètes
comme témoins, et enfin Jésus lui-même dont le corps est l’Église, et dont le
rejet constitue pour celui qui ne veut pas l’écouter, comme un jugement.
Pierre
a bien entendu cet enseignement et il sait très bien que, dans certains cas,
les litiges ou les torts commis ne peuvent pas être réparés sinon en étant
couverts par le pardon. Comme tout juif, Pierre sait aussi que le soleil ne
doit pas se coucher sur la colère, et que le pardon doit être donné avant la
fin du jour. C’est pourquoi il se dit toujours prêt à pardonner, sept fois,
autant qu’il y a de jours dans une semaine, ou sept fois par jour, autant qu’il
y a de prières dans une journée.
Mais
Jésus lui répond : « soixante-dix fois sept fois »,
c’est-à-dire, dans la culture de l’époque : « à l’infini » ou
« infiniment ». Et il illustre sa réponse par une parabole qui nous
paraît invraisemblable.
En
premier lieu, il est important de bien identifier qui sont les personnages. Il
y a le roi, le serviteur, le compagnon du serviteur et les autres compagnons.
Le serviteur se « prosterne » devant le roi, tandis que le
compagnon du serviteur « tombe à ses pieds ». La différence
entre les attitudes indique que le roi est Dieu lui-même – on se prosterne
devant lui – tandis que le serviteur n’est qu’un homme, semblable à son
compagnon – il ne fait que « tomber à ses pieds ».
Cependant,
dans la culture de l’époque, un « serviteur du roi » est un ministre,
ou un très haut fonctionnaire. La somme qui lui est confiée correspond à la
valeur de sa charge administrative, à son ministère. Et si l’on considère que
le roi est Dieu lui-même, alors, Jésus qui s’adresse à Pierre, lui parle du
ministère qu’il a reçu de Dieu en tant qu’Apôtre, ou tout simplement de la
grâce qu’il a reçue en tant que chrétien. Car la grâce du baptême nous fait
tous « serviteurs de Dieu », et même plus, « fils et filles de
Dieu ». Plus nous recevons des grâces de Dieu, plus nous recevons de lui
des « talents », qui ont une valeur infinie.
Justement,
Jésus annonce à ce propos des sommes d’argents significatives. Le serviteur
devait au Roi une somme de 10.000 talents, soit 60 millions de pièces d’argent.
Le talent pesant 20 kg et une pièce d’argent environs 3,3 grammes, à 0,69
euros le gramme aujourd’hui, cela fait presque 137 millions d’euros pour le
ministre ; et pour son compagnon qui lui devait 100 pièces, cela fait 228
euros… soit 600.000 fois moins. On comprend que les spectateurs soient un peu
scandalisés.
Cependant,
si nous revenons au fait que les « talents » sont des grâces de Dieu
confiées à ses serviteurs, alors les 100 pièces d’argents confiées par le
serviteur à son compagnon sont comparables à un gage de confiance. Elle est certes
déçue, trahie, probablement perdue. Mais on mesure ici qu’il n’y a aucun
rapport entre les relations de confiance ou de trahison que nous avons les uns
envers les autres et la puissance de la relation d’amour et de fidélité, de
vocation et de pardon, que Dieu nous accorde, à nous qui sommes ses serviteurs
et même plus, ses enfants. C’est pourquoi, si Dieu nous aime et nous pardonne à
ce point qui semble infini, de même il nous appelle à aimer nos frères et à leur
pardonner pour ce qui n’est pas rien – certes – mais qui a tellement moins de
poids que l’amour divin dont nous sommes bénéficiaires.
Ainsi,
quand nous disons dans notre prière : Notre-Père… pardonne-nous,
comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés », Jésus nous
fait dire quelque chose d’énorme, du genre : « comme nous pardonnons
des petites choses à ceux qui nous ont offensés, toi Seigneur Notre Père,
pardonne-nous une chose immense… que nous ne pouvons même pas payer. » C’est-à-dire :
« pardonne-nous de ne pas savoir gérer et faire fructifier convenablement
les dons inestimables de la vie que tu nous donnes, et de tes grâces. »
Tout
en n’oubliant pas que nous sommes appelés à donner le pardon aux autres et
demander le sien à Dieu avant le coucher du soleil – c’est-à-dire, si ce n’est
aujourd’hui – du moins avant la fin de notre vie terrestre. Que jamais nous ne
nous endormions dans la colère, mais au contraire que nous entrions dans la
joie.