Is
6,1-2a.3-8 ; Ps 137 ; 1Co 15,1-11 ; Lc 5,1-11
Chers frères et sœurs,
L’histoire de la vocation de Pierre, Jacques et Jean est remplie d’enseignements.
Tout d’abord, on peut s’étonner que saint Luc n’ait pas pris la peine de nous rapporter le contenu de l’enseignement que Jésus a donné aux foules, lorsqu’il était dans la barque : nous n’en savons rien. En revanche, nous avons presque tous les détails de l’histoire de cette pêche miraculeuse et de l’appel de Pierre, Jacques et Jean. Ici, les actes de Jésus constituent donc un enseignement plus fort que son annonce orale de la Bonne Nouvelle. Ceci nous rappelle que Jésus est lui-même la Parole de Dieu. Chez lui, tout compte : ce qu’il dit, ce qu’il fait, et même ses émotions. Et c’est bien pour cela que les évangélistes n’ont pas rapporté seulement les paroles de Jésus, son enseignement, mais bien toute la vie de Jésus, son histoire. Car il est lui-même, par tout son être, la Parole de Dieu.
Aujourd’hui, nous sommes frappés par la réaction de Pierre devant le miracle réalisé par Jésus. Saint Luc nous dit qu’« un grand effroi l’avait saisi » et qu’il était « tombé aux genoux de Jésus ». Le texte araméen dit plus justement que Pierre était tombé « sur sa face, aux pieds de Jésus ». Cette réaction nous apprend trois choses.
Premièrement, qu’il arrive aujourd’hui à Pierre ce qu’il était arrivé autrefois à tous les patriarches et prophètes, dans les Écritures : ils tombent toujours face contre terre lorsqu’ils se trouvent en présence de Dieu. C’est une réaction instinctive caractéristique.
Deuxièmement – et c’est très important – : les hommes n’inventent pas Dieu par leur esprit, leurs pensées ou leurs raisonnements, comme veulent nous le faire croire certains athées. Au contraire, c’est Dieu lui-même qui se révèle aux hommes, de sa propre initiative et comme par surprise. Dieu se révèle à un homme dans une rencontre personnelle, dans son histoire. La réflexion sur Dieu, quand elle est authentique, vient seulement après-coup, pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé, et tenter de connaître mieux ce Dieu qu’on a rencontré. Cela n’a rien à voir avec de l’imagination.
Et troisièmement : Pierre croyait jusqu’à ce moment que Jésus était un Rabbi, très important probablement, mais tout à coup il vient de découvrir qu’en réalité Jésus est Dieu lui-même ! Saint Pierre, en effet, a réagi instinctivement comme tout homme réagit quand Dieu lui révèle sa présence, par surprise.
La première lecture a justement été choisie pour nous rappeler ce qu’il se passe dans le cœur d’un homme quand Dieu se manifeste à lui. Nous avons vu que l’homme tombe face contre terre : qu’il est bouleversé. Mais il est aussi rempli d’une sorte de crainte – qu’on appelle la « crainte de Dieu ». Ce n’est pas une peur à proprement parler, mais un sentiment de profonde indignité personnelle devant la sainteté de Dieu. « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » a pu dire saint Pierre. Et le prophète Isaïe s’était exclamé : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures ! »
Or justement, si Dieu se manifeste à ces hommes-là, c’est pour les relever de leur indignité et même la retourner en force pour devenir prophète ou apôtre : Isaïe avait des lèvres impures, voilà que Dieu les lui purifie avec un charbon ardent et fait de lui un prophète ; Pierre était pêcheur de poissons, assez désabusé puisqu’il n’avait rien pris, probablement signe qu’il se désespérait surtout de mener une vie probablement assez stérile ; voilà que Jésus fait de lui un « pêcheur d’hommes », c’est-à-dire un apôtre pour gagner des multitudes d’hommes au Règne de Dieu.
C’est tout le mystère de la rencontre entre Dieu et l’homme. L’homme est ébloui par la sainteté de Dieu et se sent indigne. Mais Dieu le purifie et fait de lui un saint – non pas d’abord pour lui-même – mais d’abord pour les autres, auprès desquels il devient l’ambassadeur de Dieu.
Je termine par une dernière observation. Jacques et Jean sont présents. Ils n’ont pas réagi exactement comme Pierre a réagi – qui seul a pris la parole. Il ne semble donc pas qu’ils aient vécu personnellement la même expérience que lui. En revanche, ils en sont témoins. Ils ont vu la pêche miraculeuse. Ils ont vu Pierre tomber face contre terre devant Jésus. Et cela a suffit pour faire d’eux des Apôtres.
Aujourd’hui, grâce à l’évangile de Luc, nous aussi, nous avons assisté d’une certaine manière à cet événement. Et par conséquent, nous aussi, aujourd’hui, nous sommes appelés, comme Jacques et Jean, à tout laisser pour suivre Jésus.