Jos
24,1-2a.15-17.18b ; Ps 33 ; Ep 5,21-32 ; Jn 6,60-69
Chers
frères et sœurs,
Les
lunes de miel ne durent pas très longtemps. Voilà que les foules accourues
auprès de Jésus, après la mort de Jean-Baptiste pour faire de lui le prochain
roi d’Israël, commencent à déchanter en écoutant son Évangile, et aujourd’hui à
l’abandonner. Que s’est-il passé ?
Le
problème apparaît à propos de l’explication de la multiplication des pains. Les
gens attendaient de Jésus qu’il leur assure le pain quotidien : une bonne
vie sur la terre. Avec, de préférence, une terre débarrassée des romains et des
profiteurs de tous poils. Ils attendaient de Jésus, Fils de David, qu’il
devienne leur roi.
Mais
voilà que Jésus leur parle d’un pain qui vient du ciel, qui donne la vie
éternelle, qui est son corps et son sang, et par lequel il demeure en eux et
eux en lui : « Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est
pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui
mange ce pain vivra éternellement. »
Évidemment,
c’est l’incompréhension totale. Ils attendent un pain quotidien, la justice et
la paix dans le monde présent, et Jésus leur répond qu’il est, lui-même, le
pain de la vie éternelle. De ce fait, il n’a pas du tout l’intention de se
présenter à la prochaine présidentielle, car il est beaucoup plus important que
n’importe quel homme politique de ce monde.
Les
gens, et même les disciples récriminent aussitôt : « Cette parole
est rude, qui peut l’entendre ? » On croirait entendre le peuple
murmurer contre Dieu au désert, alors qu’il leur semble l’avoir suivi dans une
impasse. Mais c’est exactement la même chose. Avec Jésus, ils sont dans une
impasse politique : le fils de David ne veut pas devenir roi !
Jésus
surenchérit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez
le Fils de l’homme monter là où il était auparavant… ! »
Magnifique parole de Jésus, qui appuie là où ça fait mal, en disant clairement
qui il est, et en jouant à fond de la provocation. Jésus ne parle pas ici
d’abord de son Ascension, mais il fait référence à la prophétie de
Daniel : « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je
voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint
jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné
domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et
les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination
éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas
détruite. »
En
faisant référence à cette prophétie Jésus déclare qu’il n’est pas d’abord Fils
de David en vue d’une une royauté terrestre, mais qu’il est surtout le « Fils
de l’homme », c’est-à-dire pour une partie des Juifs, le Fils de Dieu,
pour une royauté universelle et éternelle. Les affaires se compliquent donc car,
déjà tout le monde ne reçoit pas de la même manière la prophétie de Daniel, et,
très concrètement, comment Jésus de Nazareth, dont on connaît bien les parents,
peut-il se dire Fils de Dieu ? Et cela d’autant plus qu’il annonce qu’il
va monter « là où il était auparavant » : Jésus vient de
Dieu et il remonte vers Dieu. Du coup, c’est la panique dans la tête des gens
et des disciples.
Alors
Jésus explique : « C’est l’Esprit qui fait vivre, la chair
n’est capable de rien », c’est-à-dire, que sans l’Esprit Saint, il
nous est impossible de bien comprendre Jésus et de demeurer en communion avec lui.
De plus, l’Esprit Saint n’est donné à certains que selon le bon vouloir du
Père : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné
par le Père. » Ainsi donc, pour être vraiment disciple de Jésus et
être en communion avec lui, il faut que cela soit d’abord donné par le Père. Il
ne faut donc pas s’étonner que beaucoup ne comprennent pas et ne veulent pas
comprendre : ils n’ont pas reçu le don de Dieu : ils n’ont pas reçu
le don de la foi.
Jésus
se tourne alors vers ses disciples. C’est l’heure du test, tragique :
« Voulez-vous partir, vous aussi ? » Nous savons que
Judas, qui suit Jésus jusqu’à son dernier repas, jusqu’au bout va vouloir faire
de lui un homme politique et va le trahir justement pour cette raison. Il est
le type-même de ceux qui partent, parce qu’ils n’ont pas la foi.
Mais
saint Pierre, au contraire, qui a reçu l’Esprit Saint donné par le Père répond,
au nom de tous les autres disciples : « Quant à nous, nous
croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » « Tu es
le Saint de Dieu », c’est-à-dire en traduisant mot à mot :
« Tu es le Dieu de Dieu ». Pierre a compris l’Évangile : Jésus
est bien fils de David pour devenir roi, certes, mais il est aussi et surtout
le « Fils de l’homme » selon la prophétie de Daniel : c’est-à-dire
qu’il est Dieu, Fils de Dieu pour une royauté éternelle qui s’étendra sur
toutes les nations. Plus que jamais, il est le véritable Sauveur attendu par
les foules, mais bien au-delà de leurs trop humaines espérances.