Ez
47, 1-2.8-9.12 ; Ps 45 ; 1 Co 3, 9c-11.16-17 ; Jn 2, 13-22
Chers
frères et sœurs,
Jésus,
aujourd’hui dans saint Jean, monte au Temple de Jérusalem pour la première
fois : il s’attend à y trouver le parfait culte de Dieu, la parfaite justice
exercée par des grands prêtres saints, eux-mêmes entourés de prêtres et de
lévites angéliques. En effet, selon le livre de l’Exode, le Temple, son
personnel et sa liturgie sont institués et organisés selon la vision que Moïse
avait eue de la Jérusalem céleste, où les anciens siégeaient sur douze trônes,
entourés des anges et des archanges, pour y juger les âmes des justes.
Mais,
voilà, en lieu et place des grands-prêtres, il trouve des changeurs ;
d’anges et d’archanges, des troupeaux de brebis et de bœufs. Pour Jésus, le
Temple qui est l’image de la Jérusalem céleste est scandaleusement profané par
ceux-là mêmes qui devraient au contraire veiller à sa sainteté.
Alors
Jésus réagit comme autrefois réagit Mattathias : il exerce la violence
pour chasser les impies, images des démons. Ce n’est pas pour rien que Jean
rappelle cette citation de l’Écriture : « L’amour de ta maison
fera mon tourment. » L’amour dont il est question est un amour zélé,
un zèle ardent, celui-là même qui motiva la révolte des Juifs à l’époque où le
Temple fut profané par le roi Antiochus IV Épiphane et ses sbires, lesquels
voulaient mettre la religion d’Israël au diapason des dieux grecs et des mœurs
grecques de leur temps, avec la complicité coupable de bon nombre d’Israélites
eux-mêmes. Ce fut la révolte des frères Macchabées.
La
réaction des Juifs, dans l’évangile, est embarrassée. En effet, Jésus a bien
agi comme avait agi autrefois Mattathias, leur père. Il a agi comme un zélote,
comme eux-mêmes revendiquent d’en être les héritiers. Du coup, Jésus suscite
l’inquiétude des grands prêtres et de leurs partisans saducéens, ici appelés
« les Juifs », mais il s’attache immédiatement la foule des
pharisiens et des zélotes de son temps qui attendaient et espéraient la venu
d’un messie purificateur, libérateur, pourquoi pas un peu musclé. N’oublions
pas que parmi les Apôtres, il y a Simon le zélote, et saint Pierre portait sur
lui une épée.
« Quel
signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » -
c’est-à-dire : « Avec quelle autorité fais-tu cela ? » La
question n’est pas un piège : elle est ouverte. Mais la réponse de Jésus
dépasse leur capacité de compréhension. Elle est d’abord provocatrice :
« Détruisez ce sanctuaire »… la destruction du sanctuaire est
toujours le fait des impies, des nations païennes qui veulent imposer leurs
dieux. Jésus mets ses interlocuteurs devant le choix radical de revenir à la
véritable adoration de Dieu ou bien d’être relégués au rang des destructeurs,
des traîtres quand il s’agit d’israélites. « … et en trois jours je le
relèverai ». Jésus peut faire ici référence à la parole du prophète
Osée : « Venez, retournons vers le Seigneur ! il a blessé, mais il
nous guérira ; il a frappé, mais il nous soignera. Après deux jours, il nous
rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant
sa face. » Le troisième jour est aussi traditionnellement celui des
noces, bref, celui de la fête, celui de la liturgie céleste. Tous les auditeurs
pensent que Jésus parle du Temple de pierre, mais il parle de son corps.
L’incompréhension
grandit lorsque les sadducéens répliquent : « Il a fallu
quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire… » Ici saint Jean ajoute du
mystère au mystère. En effet, 46 ans, c’est peut-être un détail pour vous, mais
pour Jean, cela veut dire beaucoup : à cette époque, c’est à peu de choses
près, l’âge de la Vierge Marie. Marie a l’âge du Temple. De même que dans le
Temple réside la présence de Dieu, en Marie le Verbe de Dieu s’est fait chair.
La chair de Marie est le Temple véritable du Dieu fait homme.
Mais
il n’y a pas seulement cela : il y a aussi une question de calendrier qui
travaille tous les prêtres et tous les zélotes, à chaque génération. Ils savent
que Marie et Zacharie ont été visités par l’ange Gabriel, annonçant pour eux et
pour le peuple de Dieu une bonne nouvelle. Or l’ange Gabriel n’est venu qu’une
seule fois auparavant dans tout l’Ancien Testament, dans toute l’histoire du
monde depuis la Création : pour donner au prophète Daniel la chronologie
du temps accordé à Israël pour faire cesser la perversité à Jérusalem, pour se
convertir et exercer un culte saint avant la venue d’un messie et la
dévastation de la Jérusalem terrestre, et du temple. Or ce temps correspond,
selon la manière que l'on compte, à celui de la venue de Jésus. Pour les
chrétiens, l’ange Gabriel est revenu annoncer à Zacharie et à Marie que le
temps de la réalisation de la prophétie confiée autrefois à Daniel était venu.
Par
conséquent, Jésus annonce la destruction du Temple de Jérusalem – dont il
accuse par provocation les sadducéens d’en être eux-mêmes les destructeurs par
leur impiété et leur hypocrisie – mais que le véritable Temple, image de la
Jérusalem céleste, apparaît mystérieusement en Marie. Elle est la manifestation
de cette Jérusalem céleste en laquelle Dieu se complaît, la Femme couronnée
d’étoiles du livre de l’Apocalypse : le véritable Temple n’est pas
de pierre, il est de chair. Et mieux encore, le véritable accomplissement est
manifesté quand cette chair est ressuscitée, transfigurée, illuminée par la
puissance de l’Esprit.
Chers
frères et sœurs, cela donne un peu le tournis : c’est normal. Jésus nous
apprend que son corps, sa chair ressuscitée, c’est l’Église dont Marie est la
figure parfaite. Par le baptême, nous entrons dans la communion de ce corps
glorieux, comme une pierre s’ajuste parfaitement dans la construction d’une
église magnifique. Dès lors, par l’Esprit nous faisons partie du saint peuple
de Dieu, qui adore Dieu dans le Ciel, en présence des Anciens, patriarches et
apôtres, des anges et des archanges, et de tous les saints, et c’est très
exactement cette réalité divine que notre liturgie rend présente aujourd’hui, dans
l’église d’Autrey, à la manière d’une icône humaine.