Si
35,15b-17.20-22a ; Ps 33 ; 2Tm 4,6-8.16-18 ; Lc 18,9-14
Chers frères et sœurs,
Lorsque
Jésus raconte une parabole, ce n’est pas une petite histoire inventée sur le
coup, mais un véritable enseignement où chaque mot est pesé, où la composition
même de la parabole est soigneusement réfléchie : rien n’est laissé au
hasard. Ainsi, lorsque nous lisons ou écoutons la parabole de ce dimanche, une
leçon très riche nous y est donnée.
Un
premier point extrêmement important est à souligner avant tout commentaire.
Dans notre langue française, nous employons les mots « justice » et
« paix » pour désigner la justice et la paix dans le monde. Nous
pensons à une justice nationale ou internationale, à des organisations comme la
Cour européenne des droits de l’homme, la Cour internationale de justice, qui
sont censées garantir, avec des institutions comme l’ONU, la paix dans le
monde. Mais ce n’est, ni de cette justice, ni de cette paix dont parle Jésus.
Quand il parle de justice il parle en réalité de sainteté, et quand il parle
de paix, il parle d’une profonde paix du cœur, sa paix, donnée par
l’Esprit Saint.
Ainsi,
celui qui se croit juste est celui qui se croit saint. Celui qui revient à la
maison justifié est celui qui a été sanctifié par Dieu, et qui, par conséquent,
redescend chez lui dans une très grande paix intérieure. Il faut faire très
attention, quand les Écritures ou l’Évangile parlent
de justice et de paix, il y a deux sens possibles : la justice et la paix
du monde, qui sont des arrangements politiques entre les hommes, et la
justice-sainteté et la paix du cœur qui sont donnés gracieusement par Dieu.
Dans sa parabole, Jésus nous propose donc un enseignement sur la
sainteté : comment acquiert-on la sainteté ?
On
a d’abord le pharisien, qui se tient debout et prie en lui-même. L’expression
n’est pas facile à traduire. En fait, Jésus dit que le pharisien se tient à
l’écart des autres priants dans le Temple, pour souligner sa
particularité religieuse : le mot « pharisien » veut dire
en effet « séparé », attitude typique de ceux qui se considèrent
comme purs et ne veulent avoir aucun contact avec les autres qu’ils jugent
impurs. Ce pharisien fait une longue prière, en exposant tous ses mérites, qui
sont réels. Il se félicite de ne pas tomber dans les tentations communes aux
hommes : voleurs, injustes – il aurait mieux valu ici traduire par iniques
– ou adultères. Nous retrouvons les trois tentations capitales : celles de
l’argent, du pouvoir et du désir idolâtre, qui font que l’on choisit la
fidélité à Dieu ou pas.
En
regard, le publicain, lui se « tient à distance »,
exactement comme les dix lépreux se « tenaient à distance » de
Jésus. Si la prière du pharisien était longue, celle du publicain est très
courte : « Ô Dieu, fais miséricorde à moi, le pécheur ! »
On retrouve la brièveté du cri de Bartimée : « Jésus, Fils de
David, prend pitié de moi, pécheur ! », qui a donné dans notre
liturgie : « Seigneur, prend pitié » ou « Kyrie
Eleison » ! En fait, la prière du publicain est surtout une prière
d’attitude, intérieure et corporelle, toute faite d’humilité. Elle rappelle
l’attitude du fils prodigue quand il revient chez son père. Et c’est elle, plus
que les paroles, qui change tout.
On
s’aperçoit ici que la prière la plus profonde, la plus efficace, est celle qui
vient du cœur plus que du cerveau. Beaucoup de gens prient sans le savoir,
parce qu’ils sont remués dans leur cœur, alors qu’ils ne savent pas leurs
prières.
Jésus continue sa parabole en expliquant que le publicain revient chez lui
justifié, c’est-à-dire sanctifié. Il semble, d’après notre traduction, que cela
ne soit pas le cas du pharisien. Mais en fait, il y a deux traductions
possibles. La seconde dit que le publicain est descendu à sa maison justifié
« bien plus » que l’autre. Cette traduction est moins dangereuse que
la première et plus conforme à l’enseignement habituel de Jésus. La traduction
qui dit que le pharisien n’est pas justifié, n’est pas sanctifié, est la porte
ouverte à sa condamnation, et c’est exactement sur ce type de jugement que
s’est développé l’antijudaïsme qui a conduit à toutes les atrocités. Cette
traduction est donc dangereuse. Au contraire, celle qui dit que le publicain
est sanctifié « bien plus » que le pharisien, signifie que le
pharisien a quand même reçu une part de justification, une part de
sanctification, mais beaucoup mois que le publicain. C’est exactement comme
avec le fils prodigue : le père l’habille, le réhabilite dans sa dignité
de fils et fait tuer le veau gras, mais cela ne lèse en rien son frère aîné,
qui est toujours héritier de la maison de son père. Dans notre parabole, le
publicain, c’est le fils prodigue, et le pharisien, c’est le frère aîné.
Pour
terminer, Jésus termine par la sentence : « Qui s’élève sera
abaissé, qui s’abaisse sera élevé ». Il faut être conscient que le
terme traduit par « abaissé » renvoie immédiatement à l’expression
« humble de cœur » et à la béatitude « Heureux ceux
qui pleurent, ils seront consolés ». Saint Irénée en a tiré
l’enseignement suivant, que nous pouvons faire nôtre : « le publicain
surpassa le Pharisien dans sa prière et reçut du Seigneur ce témoignage qu’il
était justifié de préférence, parce que, avec grande humilité, sans orgueil ni
jactance, il faisait à Dieu l’aveu de ses péchés. »