Ex
17,8-13 ; Ps 120 ; 2Tm 3,14-4,2 ; Lc 18,1-8
Chers
frères et sœurs,
Jésus
a raconté la parabole que nous venons d’entendre au cours d’une discussion avec
les pharisiens et ses disciples au sujet de la venue du Règne de Dieu. Aux
premiers, Jésus dit : « Le Règne de Dieu est au milieu de
vous », ce qui est une manière de leur dire que lui, Jésus, s’il est
bien un homme visible, il est également le Dieu invisible : il est
Emmanuel, « Dieu avec nous ». Là où est Jésus, là est le Règne de
Dieu. Aux seconds, c’est-à-dire aux disciples, Jésus précise : « Comme
l’éclair qui jaillit illumine l’horizon d’un bout à l’autre, ainsi le Fils de
l’homme quand son jour sera là. » Jésus, nous le savons, va leur être
retiré, d’abord par sa mort, puis après sa mort et sa résurrection, par son
ascension au ciel. Ainsi le jour et l’heure de son retour sont imprévisibles. Mais
quand le moment sera venu, celui-ci sera aussi soudain que l’éclair. Nous
comprenons donc bien, déjà, pourquoi dans la parabole d’aujourd’hui, Jésus
demande à ses disciples de prier sans cesse, sans se décourager. En effet, le
retour de Jésus est certain, et il peut arriver à tout instant.
Dans
la parabole du juge inique et de la veuve Jésus développe son propos : il dévoile
la raison cachée de son retour à la fin des temps et l’importance de la prière.
Pour comprendre, interrogeons-nous tout d’abord sur l’identité du juge et de la
veuve.
Le
juge, installé dans la ville, est l’image du pouvoir installé à Jérusalem. Il
peut aussi bien signifier le pouvoir politique de la dynastie d’Hérode que
celle des grands-prêtres. Habituellement pouvoir politique et pouvoir religieux
voguent de concert. Or Jésus dit que ce juge « ne craint pas Dieu et ne
respecte pas les hommes ». La « crainte de Dieu » est une
expression qui traverse les Écritures, l’Évangile et une part de la tradition
des Pères de l’Église. On ne doit pas l’interpréter systématiquement par
« peur de Dieu », mais plutôt par « piété envers Dieu »,
piété qui comprend aussi bien l’amour que le respect de Dieu. Autrement dit, le
juge de la parabole n’est pas pieux : il n’aime pas ni ne respecte Dieu ;
il contrevient au premier précepte de la Loi : « Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. »
Par suite logique, ce juge ne « respecte pas les hommes », puisqu’il
n’obéit pas non plus au commandement semblable au premier : « Tu
aimeras ton prochain comme toi-même. » Les deux commandements vont toujours
ensemble. Nous sommes donc en présence d’un juge légitimement en place mais qui
se conduit de manière illégitime puisqu’il n’obéit pas aux commandements qui
justifient sa fonction.
La
veuve, dans l’Évangile selon saint Luc, est la représentation d’une double
réalité : elle est en même temps la Vierge Marie et l’Église. Dans les
deux cas, cette femme est privée de son mari et soumise à la précarité de la
vie : elle est humainement fragile, mais elle est spirituellement forte
car elle a la foi. Or, dans la parabole, la veuve, donc l’Église, demande
justice au juge : justice contre les persécutions réelles ou à bas-bruit,
inévitables quand on dépend d’un pouvoir politico-religieux qui ne connaît pas
Dieu ou se rebelle contre lui. Il est remarquable que le Juge ne sache opposer
à la femme que son silence. Mais comme celle-ci sait qu’elle est dans son
droit, elle demeure inébranlable et ne lâche rien de ses revendications.
Voilà,
dit Jésus, que tout à coup, le juge finit par craquer, et il insiste sur la
raison : « cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre
justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer. » Ici la
traduction est faible et en partie inexacte : d’une part, il faut
comprendre que la veuve tourmente intérieurement le juge – il a mauvaise
conscience, du fait que la femme est dans son droit. Et d’autre part il
pressent que sa fin est proche et qu’il encourt lui-même le jugement de
Dieu : il ne faudrait pas que l’injustice dont il a fait preuve envers la
femme devienne le motif de sa propre condamnation éternelle. Donc, il lui donne
satisfaction, et ce faisant se sauve lui-même. Cela est extrêmement
important : c’est la raison cachée du temps passé et de la nécessité de la
prière incessante de la femme.
Bien
sûr, la femme, en premier lieu prie pour que la justice qui lui est due lui
soit accordée, mais en réalité aussi, sa prière agit comme une eau souterraine
qui vient creuser le cœur de pierre du juge. Au bout du compte, elle obtient,
avec la conversion du juge, la justice qu’elle attendait pour elle-même.
Du
coup, nous comprenons le sens profond de l’enseignement de Jésus – qu’on
retrouve aussi dans la Lettre aux Romains de saint Paul : le retard
du retour de Jésus, tout ce temps d’attente, durant lequel l’Église est parfois
persécutée jusqu’au sang, est le temps accordé par Dieu aux puissants de ce
monde pour se convertir. Pendant ce temps l’Église est appelée à prier sans
cesse, d’abord pour entretenir sa foi, ensuite pour obtenir la justice qui lui
est due, et en même temps obtenir du Seigneur la conversion de ses
persécuteurs, ou de leurs complices par action ou par omission – tous ceux qui
ne « craignent pas Dieu ».
Jésus
termine par une note d’inquiétude : « Le fils de l’homme, quand il
viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Tant qu’il y aura
quelqu’un à la messe le dimanche, le Seigneur Jésus sera rassuré. Et nous
aussi, car chaque dimanche à la messe, il est présent. Jésus nous l’a dit à
plusieurs reprises : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom,
je suis là, au milieu d’eux » ; « Je suis avec vous tous
les jours, jusqu’à la fin du monde. » Par son Esprit Saint et les
sacrements qu’il nous donne, le Seigneur Jésus lui-même est la force de notre
foi.