Ha
1,2-3 ; 2,2-4 ; Ps 94 ; 2 Tm 1,6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10
Chers
frères et sœurs,
Nous
poursuivons notre lecture de l’Évangile selon saint Luc. Aujourd’hui, nous
avons deux enseignements. Le premier concerne la foi ; le second concerne la
récompense que le Seigneur donnera au ciel à ses bons et fidèles serviteurs.
« Augmente
en nous la foi ! » demandent les disciples à Jésus. En effet, ils
sont bien conscients que sans la puissance de l’Esprit Saint que donne Jésus
pour encourager, augmenter leur foi, il est impossible d’être chrétien
intensément – d’être des saints - et de l’être continuellement, durant toute sa
vie, jusqu’à ce que le Seigneur vienne. Mais Jésus leur répond qu’ils n’ont
même pas la foi grosse « comme une graine de moutarde ». En
syriaque classique le mot employé désigne aussi un atome ! Jésus dit donc
à ses disciples qu’ils n’ont même pas un atome de foi, et qu’il en suffirait d’un
seul pour déraciner un mûrier – un arbre bien résistant – pour qu’il aille se
planter tout seul dans la mer !
On
en conclut qu’on ne gagne pas le royaume des cieux de notre propre chef, par
nous-mêmes, même avec l’aide de la grâce de Dieu. Mais c’est la grâce de Dieu,
donnée par Dieu, qui nous ouvre les portes du royaume : nous n’y sommes
pour rien. Il nous revient en revanche de nous préparer à recevoir cette grâce,
à tout faire pour bien la recevoir, et à rendre grâce à Dieu pour le don qu’il
nous fait – et de la foi, et du royaume, quand l’heure viendra.
Ce
n’est donc pas pour rien que saint Luc a ajouté un second enseignement à la
suite du premier. On ne le trouve que dans cet Évangile. Jésus y représente ses
disciples comme des maîtres ayant chacun un serviteur, attaché au labourage et
au pâturage. Il leur pose trois questions : est-ce qu’à la fin de la
journée, vous le ferez passer directement à table ? Évidemment non,
puisque c’est lui qui doit préparer le repas. C’est d’ailleurs le sens de la
seconde question : est-ce qu’il ne doit pas d’abord préparer le repas, se
mettre en tenue de service, le temps que le maître dîne, et ensuite seulement
il pourra en profiter ? Bien sûr que oui, c’est dans l’ordre des choses.
Et troisième question : est-ce que le maître va accorder à son serviteur
une reconnaissance particulière pour le service habituel qu’il doit lui rendre ?
Bien sûr que non ; pourquoi le maître donnerait-il une gratification
spéciale pour un service normal ?
Donc,
conclut Jésus, puisque vous êtes, vous aussi, des serviteurs, des serviteurs de
Dieu, lorsque le temps sera écoulé, au jour du jugement, vous devrez conserver
l’humilité qui sied à des serviteurs : « Nous sommes de simples
serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. » Et paf !
le prédicateur moyen en tire la conclusion que les disciples sont appelés à une
humilité sommes-toutes assez servile... Pour la forme, dans la nouvelle version
liturgique, on a remplacé le « nous sommes des serviteurs inutiles »
par « nous sommes de simples serviteurs »… c’est moins
difficile à digérer pour notre ego.
Oui,
mais ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre l’enseignement de Jésus. Le
serviteur qui laboure et qui garde les bêtes, c’est bien le prophète de l’Évangile
qui arpente la terre jusqu’au bout du monde pour y semer la Parole de
Dieu ; et c’est bien le bon pasteur, gardien du troupeau de l’Église. Et
que dira le Seigneur quand il viendra à son fidèle serviteur qu’il trouvera
occupé à son travail : « Heureux ces serviteurs-là que le maître,
à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui
qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera
pour les servir. » Dans le monde des hommes, jamais le maître ne fera
passer son serviteur à table avant ou en même temps que lui ; mais pas
dans le monde de Jésus. Oui : les serviteurs de Dieu sont déjà invités et
attendus pour le repas, à la table de Dieu.
Nous
avons également dans cette déclaration de Jésus la réponse à la seconde
question : le serviteur n’aura pas à se mettre en tenue de service, car le
service sera fait par le Seigneur lui-même. Il est intéressant ici d’observer
que la première question concerne le service de l’humanité : labourage et
pâturage ; annoncer l’Évangile et nourrir la foi des fidèles. Et la
seconde question concerne le service de Dieu lui-même : préparer un dîner,
c’est préparer une offrande ; l’offrande de la prière. Se mettre en tenue
de service, c’est s’habiller comme un prêtre pour la prière et faire l’offrande
au Seigneur. Alors le Seigneur « mange et boit » ; il reçoit l’offrande
– et si l’offrande est agréée, le serviteur peut y communier. C’est dans l’ordre
des choses. Mais dans le monde de Dieu, dans le Ciel, le repas nous
attend : il est déjà prêt ; et c’est le Seigneur lui-même qui nous
prie d’y participer. Voyez à quel point la parabole de Jésus est
impressionnante, quand on la lit avec les yeux de la foi !
Et
dernière question : le Seigneur sera-t-il reconnaissant à son serviteur
pour l’exécution de ses ordres ? Oui, Jésus l’a dit : « Je ne
vous appelle plus serviteurs, mais amis. » Voilà comment Jésus
considère ses disciples : oui, il leur demande de labourer toute la terre
et de faire paître le troupeau du Seigneur sur de bons pâturages. Mais la
récompense est au-delà de ce qu’ils peuvent imaginer : elle est communion
au repas des noces, au titre d’invités et d’amis du roi.
C’est
alors que l’on comprend dans quel état d’esprit le disciple peut répondre dans
une véritable humilité au don infini, immérité, qui lui est fait :
« mais… Seigneur… nous ne sommes que de simples serviteurs… nous n’avons
fait que notre devoir… » C’est ce que nous disons, à chaque messe :
« Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une
parole et je serai guéri. »